L’épuisement professionnel dans le milieu de la culture

Que ce soit en tant que créateur·trice ou de travailleur·se culturel·le, l’épuisement émotionnel, mental et physique guette. Pour décembre, la Machinerie aimerait souligner ce phénomène sous-estimé, et grandement normalisé dans le milieu culturel.

L’équipe a réalisé une entrevue avec Stéphanie Laurin, gestionnaire culturelle et détentrice d’une maîtrise en gestion d’organismes culturels, dont le mémoire est orienté autour de l’épuisement professionnel dans le milieu de la culture.

Machinerie : Qu’est-ce qu’un épuisement professionnel? Comment en reconnaître les symptômes, les prévenir?

Stéphanie : Pour définir l’épuisement professionnel, je vais citer une définition qui, en mon sens, est on ne peut plus complète : « L’épuisement professionnel est un état de fatigue général se traduisant par un affaiblissement physique, une exténuation émotionnelle, des sentiments de désespoir, une perte de concentration, une fatigue intellectuelle ainsi que par le développement d’une attitude négative aussi bien vis-à-vis de soi-même, que de son travail, de la vie et des gens. L’épuisement professionnel est l’aboutissement d’un très haut niveau de stress au travail, maintenu trop longtemps. » (d’après l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail secteur « affaires municipales » (APSAM) avec la collaboration du Docteur Serge Marquis, 2003)

Cette définition est assez complète, car elle touche autant aux symptômes qu’aux causes. Puis, elle résume très bien en quoi consiste un épuisement professionnel.

On peut reconnaître les symptômes du burn-out à différents niveaux :

Symptômes physiques : fatigue généralisée, difficulté à se lever le matin, tension musculaire, problème respiratoire, affaiblissement du système immunitaire, nausées.

Symptômes comportementaux : sautes d’humeur, irritabilité, émergence d’un comportement toxique et un sentiment d’impuissance.

Symptômes psychologiques : attitude négative envers soi-même, attitude négative envers les autres, perte d’espoir, idées noires, diminution de la vigilance et même de la mémoire.

Pour prévenir l’épuisement professionnel, les études démontrent le rôle clé du dirigeant dans les OBNL. En effet, les habiletés de direction des superviseurs, leur style de gestion et la culture de l’entreprise affectent positivement ou négativement la santé mentale des coéquipiers. Avant même de parler d’évaluation de la charge de travail, il faut que la direction mette en application des dynamiques constructives permettant de satisfaire les trois besoins fondamentaux de l’employé·e, soit : le besoin d’autonomie, le besoin de compétence et le besoin d’affiliation sociale. Cela signifie, par exemple, la possibilité de participer aux prises de décision, l’accueil et la considération d’initiatives de l’employé, l’accès à un salaire adéquat, ainsi qu’offrir la latitude nécessaire pour que les membres de l’équipe sentent qu’ils peuvent évoluer au sein de l’organisme. La reconnaissance est absolument nécessaire pour renforcer le sentiment de compétence du travailleur·euse. Ce type de renforcement et faire preuve d’empathie instaure une approche bienveillante, digne d’une bonne gestion d’équipe. Quant au besoin d’affiliation sociale, il est alors question de la qualité de l’environnement de travail, de la qualité des relations interpersonnelles, de même que la position de l’individu au sein de l’organisme.

Le rôle du leader s’entremêle donc avec la culture d’entreprise, car l’un ne va pas sans l’autre.

Il ne faut toutefois pas oublier la responsabilité de l’individu. En effet, tant au niveau des employé·e·s que des dirigeant·e·s, les travailleur·euse·s se doivent aussi d’adopter certains comportements et de rester à l’affût de certaines situations pour éviter l’épuisement professionnel. Il doit agir comme baromètre quant à ses aptitudes dans l’accomplissement de ses objectifs et de la charge de travail. S’il sent qu’il en a trop, que les objectifs ne sont pas assez clairs, il en est de sa responsabilité de verbaliser le tout.

Machinerie : Qu’en est-il de la réalité des pigistes?

Stéphanie : On ne peut parler d’épuisement professionnel en culture sans parler du statut de pigiste très répandu. La condition de pigiste offre une flexibilité d’horaire, mais elle vient avec son lot de stress puisque chaque contrat à venir demeure incertain. Plusieurs personnes sont alors portées à trop en prendre en même temps, de peur de manquer de travail, ce qui leur occasionne une surcharge quantitative.

Les horaires instables des emplois contractuels qui caractérisent le statut de pigiste engendreraient davantage l’épuisement professionnel. Aucune structure de soutien ne peut permettre aux pigistes de s’arrêter pour prendre du mieux, comme ils n’ont pas droit à l’assurance-emploi dû à leur statut d’emploi. La surcharge quantitative est un facteur que l’individu doit lui-même être en mesure de jauger pour mieux répartir ses contrats.

On peut donc dire que c’est une tendance à surveiller, mais que personne d’autre que l’individu lui-même ne peut être en mesure d’équilibrer sa situation d’emploi.

Voilà la roue de la performance, de l’efficacité, de l’instantané, du « maintenant, tout de suite ». C'est-à-dire que les projets vont tellement vite et sont tellement intenses en culture qu’on ne prend pas le temps de se demander si ce système est pérenne ou même sain. On est trop dans une efficacité des choses. Je ne sais pas ce qui va changer la culture du milieu.

Machinerie : Pouvons-nous parler de « fatigue culturelle »? Est-ce que notre milieu est plus propice aux épuisements professionnels? Si oui, pourquoi?

Stéphanie : Oui, complètement. Pour le·la travailleur·euse culturel·le, l’élément fondamental est le sens au travail. L’individu doit être en phase avec ses motivations personnelles et ses tâches professionnelles. La plupart de ces travailleur·euse·s oeuvrent dans ce secteur par passion, comme c’est souvent le cas avec les autres métiers précaires (en santé, le secteur communautaire, etc.). Toutefois, le·la travailleur·euse culturel·le est investi d’une sorte de mission (artistique), d’un appel inexplicable et intangible envers l’art, qui est presque de l’ordre de la foi. Il est donc très difficile de faire une scission entre le travail et la vie personnelle. On ramène nos passions à la maison. Il n’y a donc pas d’espace de repos, de punch-out, si je puis dire. De plus, la précarité du milieu des arts peut créer une tension entre cette passion et l’incapacité d’agir dû au manque de ressources financières et humaines. À cela s’ajoute un facteur très insécurisant propre au milieu de la culture, c’est-à-dire l’absence de filet social (assurances, de congés maladie, etc.).

Machinerie : Quelles sont les bonnes pratiques pour avoir des habitudes professionnelles saines?

Stéphanie : Il faut scinder le travail et la vie personnelle. Il faut se trouver des trucs pour qu’il y ait une séparation entre le « moi » au travail, et le « moi » post-travail. Cela pourrait être aussi simple que de changer de vêtements en arrivant à la maison. D’autres astuces peuvent être utiles, par exemple, éviter d’utiliser son téléphone personnel pour les communications professionnelles, accepter qu’au-delà d’une certaine heure il n’est plus question de regarder (et répondre à) ses courriels, etc. Il est nécessaire de trouver des espaces de repos, mentaux et physiques. Ces espaces peuvent être le sport ou la méditation, qui gagnent en popularité pour des raisons évidentes. Les gens ont besoin de cet espace. C’est non seulement salutaire, mais essentiel.

Machinerie : As-tu un commentaire plus personnel à dire sur l’épuisement professionnel?

Stéphanie : J’ai l’impression que nous sommes dans une roue en marche et qu’il est difficile de la ralentir. Je n’applique pas moi-même mon exemple d’éviter de répondre aux courriels passé une certaine heure, car on attend de moi une réactivité constante, puisque mes interlocuteurs feront preuve de cette même réactivité et ainsi de suite. Voilà la roue de la performance, de l’efficacité, de l’instantané, du « maintenant, tout de suite ». C’est-à-dire que les projets vont tellement vite et sont tellement intenses en culture qu’on ne prend pas le temps de se demander si ce système est pérenne ou même sain. On est trop dans une efficacité des choses. Je ne sais pas ce qui va changer la culture du milieu. Peut-être qu’il faudra qu’un grand nombre de travailleurs s’effondrent simultanément pour que tout le secteur soit handicapé et que là, vraiment, on provoque une remise en question du rythme de travail. D’ici là, il faut rester humain tant comme employé·e que comme porteur de projet. Nous devons de part et d’autre être à l’écoute, demeurer empathiques et nous assurer que les équipes mettent en place des bons systèmes pour éviter l’épuisement professionnel.

Après un BAC en Études théâtrales, Stéphanie Laurin cofonde les Productions Aequo. Au sein de cet OBNL, elle fait ses premières armes en production et diffusion de pièces de théâtre, d’expositions d’art visuel et de courts métrages. À partir de 2016, elle retrouve son champ de prédilection en joignant l’équipe du Théâtre PÀP, d’abord comme responsable des communications pour rapidement devenir adjointe à la direction et responsable du développement jusqu’à l’automne 2020. À travers son parcours professionnel, elle obtient une maîtrise en gestion des arts aux HEC dont la thèse porte sur l’épuisement professionnel chez les travailleurs culturels. Depuis juin 2019, Stéphanie est la codirectrice générale et la directrice administrative d’Empire Panique, la compagnie du créateur Philippe Boutin. À travers ses divers engagements, elle assure quelques mandats de charge de projets auprès de compagnies de créations théâtrales comme Sibyllines et Orange Noyée. En septembre 2020, Stéphanie Laurin entre en poste à titre de productrice exécutive chez Transistor Média, une boîte de production de baladodiffusion.