Comment incarner son identité artistique publiquement?

Les activités du mois de novembre et de décembre étaient orientées autour de l’identité artistique. Au cours de cette série, la Machinerie a réalisé une entrevue avec 2Fik, un artiste dont la personnalité embrasse l’ensemble de ses créations, et en devient même le fil rouge. Nous vous proposons ici un retour sur l’inspirant café-causerie auquel il a participé.

temps de lecture : 8 minutes

Machinerie : Pourrais-tu nous présenter ton histoire en tant qu’artiste? Comment ta pratique artistique s’est développée?

2Fik : Ce qui est très intéressant, c’est que mes études faites en France, qui ne m’ont servies en rien pour ma carrière professionnelle au Québec, me servent enfin en tant qu’artiste. J’ai étudié en communication et en publicité ; j’ai donc toujours été très intéressé par le concept de produit et sur les façons de faire de la mise en marché envers une clientèle.
Je suis arrivé au Québec en 2003 et malheureusement, mes diplômes n’ont pas été reconnus. Je me suis retrouvé dans le milieu communautaire et j’y ai travaillé pendant 15 ans. C’est en parallèle à ce passage dans le milieu communautaire que j’ai commencé à développer une pratique artistique dans laquelle je me mettais en scène en train d’incarner physiquement des personnages. Je dis personnages, car initialement il n’y avait pas de noms, de personnalités. C’était vraiment juste pour jouer, ainsi qu’une façon de faire un détournement de l’autoportrait. J’ai commencé à jouer avec mon physique et avec des costumes, ce qui m’a amené à développer ma démarche artistique autour de l’identité.
Aussi, c’est intéressant de voir la perception que les gens ont de la personne derrière l’œuvre. Maintenant, j’ai créé tellement de personnages qu’on ne sait plus quelle est ma véritable identité. Je pense que j’ai bien réussi à disparaître en tant qu’individu. Beaucoup de gens sont surpris de voir qu’au quotidien je ne suis pas en hijab et en talons! Et c’est au moment où j’ai ancré mon identité d’artiste que j’ai commencé à communiquer celle-ci publiquement.

Machinerie : Comment ta vie personnelle enrichit-elle ta pratique artistique?

2Fik : Il fut une époque où ma vie personnelle souffrait de ma vie artistique. Je suis un homme cis homosexuel nord-africain. J’appartiens, entre autres, à la communauté gaie. La perception de mon travail artistique avait des effets directement sur la perception de ma masculinité et de ma personne. Pour beaucoup d’hommes, je n’étais plus véritablement un « homme », car je portais des robes. Au début de ma carrière, ces jugements m’atteignaient. Je ne suis pas que l’artiste, je suis aussi l’être humain. Il y avait tellement de choses que je faisais pour mon travail qui avaient un impact sur mon quotidien qu’à un moment je me suis demandé si je n’étais pas devenu une œuvre d’art ambulante; à un point tel que j’ai dû faire une délimitation entre mon travail artistique et « moi ». D’un autre côté, je pense que mon travail artistique m’a permis d’être extrêmement confortable avec mon physique, mon corps, mon visage. Grâce à cela, j’ai un véritable détachement face à mon image.

Machinerie : L’interdisciplinarité fait partie intégrante de ton identité artistique. Est-ce que tu définis comme un artiste visuel? Un artiste de la performance? Un artiste multimédia?

2Fik : Je ne peux pas répondre à cette question. Au début, je disais que j’étais un artiste autodidacte. Puis autoproduit. Ensuite, un artiste visuel. Après cela, j’ai commencé à faire de la vidéo, alors j’ai intégré le terme multidisciplinaire. Malgré toutes ces étiquettes, je trouve toujours ces termes trop réducteurs. On aime tellement mettre des étiquettes sur tout, alors que dans ma démarche, j’essaie justement de briser les étiquettes qu’on peut poser sur des gens. Maintenant, je dis simplement « Artiste ».

Machinerie : Tu as une personnalité médiatique qui ne se contraint pas à l’écosystème des arts vivants. Peux-tu nous parler des autres communautés qui suivent tes créations?

2Fik : C’est intéressant que tu soulignes que je touche une diversité de communautés. Je l’ai particulièrement constaté avec ma campagne de sociofinancement. J’ai été très surpris de la diversité des profils de mes donateurs et donatrices : autant des grands collectionneurs adeptes de Cindy Sherman que des étudiants aux moyens plus limités. Puis, je pouvais pratiquement replacer mon passage dans différentes régions : du Texas à l’Irlande! J’y voyais une liste de personnes que je ne connaissais pas, mais que j’avais eu l’occasion de rencontrer, par exemple, pendant une performance.

L'enjeu que j'ai et qui m'habitera toujours est : comment ne pas me répéter? J'essaie de me réinventer à chaque œuvre.

Machinerie : Est-ce que tu t’adresses à toutes ces communautés?

2Fik : Oui, j’y tiens. Je m’adresse à tous ces gens de la même façon, et c’est ancré en moi depuis le début de ma pratique. Je soutiens que l’art doit être accessible à tout le monde, sans exception. Il est vital que je prenne autant le temps de discuter avec un grand collectionneur qu’avec une mère de famille, par exemple. Je viens d’une famille qui n’est pas du tout artiste. Mon père est boulanger-pâtissier, et ma mère est au foyer. Je me rappelle encore de la fois ou j’ai dit à mes parents que je voulais visiter le Louvre, et qu’ils m’ont répondu que « ce n’était pas un endroit pour des gens comme nous ». L’art doit être là où on ne l’attend pas, pour éviter ce genre de situation. Maintenant, des décennies plus tard, mon père parle de ma démarche artistique à son entourage!

Machinerie : Ton identité individuelle est intrinsèquement liée à ton identité artistique. Comment vis-tu cela dans l’espace public?

2Fik : Il faut faire le deuil d’une certaine tranquillité. C’est-à-dire que je crée une œuvre, mais je ne suis pas mon œuvre. Par contre, je sais que mon corps, mon physique, c’est celui que le public voit dans les photos. Par conséquent, je dois être prêt à tout moment à être contraint de passer de Toufik (l’humain) à 2Fik (l’artiste). Il faut faire le deuil d’être perçu comme un individu anonyme. Cependant, je considère que si quelqu’un prend le temps de venir me parler ou me poser des questions, je vais lui donner mon attention. Ça prend du courage, aller parler à un inconnu. Cette personne a aussi certainement un point de vue qui va m’intéresser, je vais apprendre quelque chose de cette personne.

Machinerie : En tant qu’artiste, c’est toujours difficile de retracer ton public. Penses-tu que tu as un public?

2Fik : Oui, je pense que j’ai un public. Est-ce que ce public est homogène? Je ne crois pas et c’est ce que j’adore. Je crois que la raison pour laquelle ça fonctionne, c’est que je suis totalement sincère dans ce que je fais. J’ai une grande foi en ma pratique artistique. Je crée non pas pour satisfaire un public, mais parce que j’assume et je crois en ce que je fais. J’arrive à toucher une multitude de gens parce que je suis entièrement transparent dans ma façon de créer. Je crois sincèrement que le public peut sentir quand une œuvre a été bâclée ou qu’elle ne répond pas à une impulsion authentique de l’artiste. J’ai développé un public qui apprécie mon art, et pas seulement la personne derrière la création.

Machinerie : Comment tes œuvres artistiques façonnent-elles ton image de marque? Et à l’inverse, est-ce que ton image de marque vient nourrir ta pratique artistique?

2Fik : L’un vient nourrir l’autre, et vice versa. Et ça peut être un cercle vertueux, tout comme ça peut être un cercle vicieux.
Aussi, j’ai un processus créatif qui est très lent. Par exemple, il faut attendre que ma barbe pousse avant de faire une certaine performance. Puisque mon processus créatif est long, je prends des mois à réfléchir à l’œuvre, et tout ce qui l’entoure. Dès que je passe à l’acte, tout se déroule très naturellement, car mon processus est solide a été pensé d’avance. L’œuvre est donc pensée en adéquation avec la promotion qui y est rattachée.

Machinerie : Vis-tu des enjeux dans ta mise en marché?

2Fik : L’enjeu que j’ai et qui m’habitera toujours est : comment ne pas me répéter? J’essaie de me réinventer à chaque œuvre. Par exemple, j’ai toujours travaillé seul, j’ai toujours assumé tous les rôles de mes créations : styliste, modèle, photographe, montage photo, etc. Avec le temps, je fais des projets de plus en plus gros et, pour la première fois, je vais avoir des collaborateurs (pour la scénographie, la lumière, le son). Cette nouveauté me fait peur et je trouve cela très sain. Si on a pas peur, ça veut dire qu’on ne sort pas de sa zone de confort en tant qu’artiste. Je crois véritablement que c’est important de se mettre en danger. Et le jour où je me mettrai confortable, c’est le jour où mes œuvres deviendront franchement plates!

2Fik est directeur artistique, photographe, modèle et performeur de ses œuvres qui jouent avec la réalité, les genres, les identités, les croyances, les sexualités et les perceptions. Ses travaux incluent la photographie, la performance, la vidéo et les arts numériques.

Comment se distinguer pour attirer la main-d’oeuvre?

L’équipe de La Machinerie a rencontré Valérie Beaulieu, directrice générale de Culture Montréal. Elle nous partage une partie de sa vision des ressources humaines et ce qui lui semble essentiel lors de tout processus de recrutement.

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Machinerie : Le recrutement et la gestion des ressources humaines sont des sujets qui semblent vous intéresser particulièrement, pouvez-vous nous en dire plus?

Valérie : J’ai toujours l’impression qu’avec chaque processus de recrutement vient une sorte d’excitation. Accueillir une nouvelle ou un nouveau collègue dans l’équipe, c’est comme si on ouvrait de nouvelles possibilités, de nouveaux potentiels. Dans le cas d’un poste existant, la personne qui quitte le poste en question a souvent bâti des choses, a injecté sa personnalité dans le travail, et là, c’est l’occasion de questionner, de voir où on est rendu avec ce rôle-là dans l’équipe, de voir ce qu’on veut bonifier, etc. Parce qu’un descriptif de poste, c’est très théorique, mais dans la pratique, les choses sont souvent différentes, que ce soit dans les tâches, dans la synergie avec les collègues, etc. Une démarche de recrutement permet donc de faire une mise à jour du poste. Je vois le recrutement comme un processus d’amélioration continue de l’organisation, que ce soit lors de la création d’un nouveau poste ou pour un remplacement. C’est l’occasion de peaufiner les rôles de chacun·e, de s’assurer de la complémentarité au sein de l’équipe, de faire un bilan. C’est donc toujours excitant, car c’est la possibilité d’accueillir une nouvelle énergie au sein de l’équipe, une personne qui va venir mettre sa touche et avec qui on va bâtir quelque chose. On espère donc trouver LA bonne personne pour compléter l’équipe. Pour ça, il faut s’assurer d’être suffisamment attractif pour recevoir le maximum de curriculum vitae intéressants.

Machinerie : Justement, en termes de recrutement, comment une organisation s’assure-t-elle d’être attractive, de se distinguer, pour attirer les bonnes personnes?

Valérie : Tout d’abord, je pense qu’on est attractif lorsqu’on est vrai et authentique avec ce qu’on est en tant qu’organisation. Selon moi, la description du poste, l’affichage doivent refléter réellement l’essence de l’organisme pour que les personnes qui font le processus d’embauche ou qui arrivent en poste ne soient pas déçues ou n’aient pas l’impression d’avoir été « bernées ». Il me semble donc important que l’affichage corresponde le plus possible à la réalité. À Culture Montréal, nous intégrons toujours un petit paragraphe au début des affichages de postes qui explique ce que cela veut dire travailler chez nous. On mentionne par exemple qu’on est une petite équipe formée de personnes passionnées et que nous sommes souvent amené·e·s à travailler en collaboration sur les dossiers. J’ai également remarqué lors des derniers recrutements que les candidat·e·s consultent beaucoup notre site web et en particulier la section sur les valeurs de l’organisation. J’ai réalisé à quel point c’est un élément important à mettre de l’avant. Souvent, ces personnes mentionnent en entrevue qu’elles se sentent en adéquation avec les valeurs de Culture Montréal, que c’est ce qu’elles recherchent, etc.

Ensuite, il faut s’assurer de diffuser les affichages de postes dans le maximum de réseaux. Nous avons de la chance chez Culture Montréal car nous recevons toujours beaucoup de candidatures, mais nous voulons élargir encore davantage nos listes de diffusion afin de rejoindre des personnes qui ne sont pas forcément dans nos réseaux habituels et nous assurer de recevoir des candidatures diversifiées. Nous sommes d’ailleurs actuellement en train de restructurer notre chantier « inclusion, représentativité et diversité ».

Finalement, nous tenons à ce que tout le processus de recrutement soit fait dans le plus grand des respects : j’ai des gens dans mon entourage qui ont cherché ou cherchent un emploi et je sais que ça peut être parfois douloureux… À Culture Montréal, toutes les personnes qui envoient leur curriculum vitae reçoivent un accusé de réception, et à partir du moment où des candidat·e·s nous ont accordé du temps pour une entrevue, nous les contactons tous par téléphone pour faire un suivi. On ne laisse personne sans nouvelle. Nous indiquons également toujours dans l’affichage que tous les curriculum vitae seront lus avec attention. Et c’est vrai, on prend le temps de tous les regarder et on essaie d’aller au-delà des biais qu’on pourrait avoir. Par exemple, on peut avoir tendance à rechercher des gens qui connaissent bien notre secteur d’activités. Or, quelqu’un qui connaît très bien le secteur, ça ne peut pas être un·e nouvel·le arrivant·e… Donc, j’essaie toujours d’aller au-delà de ça, de me dire que dans mon équipe j’ai déjà plusieurs personnes qui connaissent le milieu, et qu’une approche différente pourrait être intéressante. À Culture Montréal, on réfléchit au développement culturel. En ce sens, avoir des candidat·e·s qui viennent d’ailleurs, qui ont un autre genre d’expérience, est très enrichissant.

Je vois le recrutement comme un processus d'amélioration continue de l’organisation, que ce soit lors de la création d’un nouveau poste ou pour un remplacement.

Machinerie : Et dans le milieu des arts et de la culture, qui fait face à des enjeux particuliers, comment s’assurer de cette attractivité?

Valérie : C’est vrai qu’on n’est pas nécessairement un milieu facile par rapport à d’autres, si on parle par exemple des conditions salariales, mais nous avons la chance d’être dans un univers de passion. J’ai souvent des candidat·e·s qui délaissent un secteur plus lucratif car ils veulent vraiment travailler en culture. Ce sont des gens qui font ce choix presque par vocation. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’on peut abuser des gens. Je pense que comme employeur·e du milieu des arts et de la culture, ce que nous pouvons faire pour nous distinguer, c’est d’offrir un bon climat de travail. Pour moi, c’est la chose la plus importante, non négociable. Un élément sur lequel on doit travailler tous les jours, tous ensemble. Comme directrice générale, j’ai l’obligation bien sûr de « montrer l’exemple », de veiller à ce que tout le monde soit sur la même longueur d’onde. On passe tellement de temps au travail, on ne peut pas tolérer un climat toxique.

Et la notion d’accueil est importante aussi. La façon dont on accueille un·e nouvel·le employé·e., que ce soit à distance en ce moment à cause de la pandémie, ou dans les bureaux. Tout mettre en œuvre pour que leur première journée, leur première semaine, leur premier mois se passent bien. Un « mauvais » accueil, ou un accueil un peu raté, peut avoir une incidence négative à long terme sur la relation qu’on a avec l’employé·e. C’est quelque chose qui est difficile à rattraper.

Machinerie : Le processus de l’entrevue peut être intimidant pour certaines personnes. Comment travaillez-vous ces étapes?

Valérie : Je m’assure de donner toutes les chances à la personne et de faire en sorte qu’elle se sente en confiance. Je commence souvent les entrevues en demandant à la candidate ou au candidat de m’expliquer un petit peu son parcours professionnel, de me raconter une histoire en fait, son histoire, et ce qui fait qu’aujourd’hui il ou elle se retrouve dans mon bureau. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses et cela donne le temps à la personne de se mettre en route et à la nervosité de tomber. Après ces premières minutes, j’ai souvent un meilleur accès à sa personnalité, je comprends son parcours, ses choix. Ça me permet aussi de voir si elle a l’esprit de synthèse, sa façon de s’exprimer, etc. Pour moi, une entrevue, c’est un dialogue, un échange. J’ai bien sûr des questions, mais ce n’est pas unidirectionnel. C’est une conversation et je m’assure de prendre le temps qu’il faut pour cela, pour que la personne sente qu’elle peut être elle-même dans cette entrevue, car je veux voir qui sont les gens, avoir accès à leur personnalité. En processus de sélection, on regarde bien sûr les expertises, les compétences, les intérêts, mais aussi la complémentarité avec le reste de l’équipe.

Machinerie : La candidate idéale ou le candidat idéal n’existe sans doute pas, mais selon vous, quels sont les éléments qui font qu’une personne s’en rapproche?

Valérie : À Culture Montréal, on s’intéresse à la culture à 360 degrés et on travaille beaucoup de contenus, donc cela ne prend pas des experts en tout, mais plutôt des gens curieux, passionnés par le développement culturel, par Montréal, par la ville. Et ça, peu importe le poste. C’est important afin que tout le monde se sente bien dans ce qu’il·elle fait. Et puis, bien sûr, en entrevue, on présente notre organisation et sa dynamique interne : le rapport entre l’équipe permanente et le conseil d’administration formé de 21 personnes, l’importance des bénévoles (plus d’une centaine) au sein de Culture Montréal, etc. On s’assure que ces éléments soient bien compris par les candidat·e·s. De même, on mentionne le rythme de travail soutenu et la nécessité de rester flexible puisque nous sommes tributaires de l’actualité et de son impact sur notre écosystème. Nos priorités peuvent donc changer du jour au lendemain. J’aime mieux que ces choses soient exposées tout de suite et que la personne puisse juger si cela lui convient ou pas.

Machinerie : Selon vous, y a-t-il un type de relation employé·e / employeur·e à privilégier pour avoir un impact sur son milieu?

Valérie :Je suis directrice générale, mais je considère que chaque individu dans l’équipe a vraiment une responsabilité importante, que sans cette personne, on n’est pas la même organisation. J’essaie donc de privilégier les relations de confiance. Après tout, moi, je me réalise bien quand je sens que les gens ont confiance en moi, donc, j’estime que c’est la même chose pour mon équipe. Je m’assure que tous et toutes sentent que j’ai confiance dans leur travail et leurs décisions. J’ai été accompagnée à un moment par une consultante en ressources humaines et elle m’a fait remarquer quelque chose de majeur : l’organigramme dans une structure, ce ne devrait pas être la direction en haut et les employé·e·s en bas. C’est le contraire, c’est la direction qui est en bas et qui doit s’assurer que tout le monde a tout ce qu’il faut pour bien faire son travail. L’essentiel de mon travail au quotidien, c’est d’être en soutien à mon équipe pour que chacun et chacune puisse mener à bien ses dossiers et ses projets. Ça, ça a été une révélation.

Durant un parcours de plus de 15 ans axé sur les communications et la gestion, principalement dans le milieu culturel montréalais, Valérie Beaulieu a joué plusieurs rôles. À la fois comédienne et travailleuse culturelle, elle a été responsable des communications et des relations avec les citoyens pour le Théâtre Aux Écuries, ainsi que directrice des communications pendant quatre ans pour le Festival du Jamais Lu. Elle a œuvré également en entreprise où elle a donné des formations de prise de parole en public.

En 2011, elle a cofondé l’organisme La Ligne Bleue | Réseaux et quartiers culturels qu’elle a dirigé pendant trois ans. Depuis, elle a été consultante en direction de projets et communication notamment au sein d’organisations comme l’École de l’innovation citoyenne de l’ÉTS et la Corporation de développement urbain du Faubourg Saint-Laurent où elle a assumé la direction générale par intérim. Valérie Beaulieu assure la direction générale de Culture Montréal depuis 2016. 

Pérenniser une équipe de travail par une gestion agile

En terme de gestion des ressources humaines, il existe de nombreux modèles et l’important est de choisir celui qui servira le mieux notre organisme et notre équipe.

Nous avons réalisé une entrevue avec Rachel Billet, directrice générale de la Machinerie, pour qu’elle nous partage ses idées sur la question, l’expérience qu’elle acquiert progressivement dans cette organisation et quelques pistes pour une gestion harmonieuse des ressources humaines.

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Machinerie : Un des gros enjeux en ressources humaines est souvent de parvenir à mobiliser une équipe de façon pérenne. Comment est-ce possible selon toi?

Rachel : Pour mobiliser une équipe de façon pérenne, il faut d’abord trouver les bonnes personnes pour constituer une équipe. C’est la base. Plutôt que chercher des compétences, des habiletés ou chercher à atteindre un haut taux de productivité, je pense qu’on devrait avant tout chercher des personnalités, des profils de personnes qui vont s’impliquer dans l’organisation et partagent notre vision et nos valeurs. Je crois aussi énormément au principe de réciprocité : l’employeur choisit l’employé tout autant que l’inverse. C’est quelque chose que j’ai réalisé lors des derniers recrutements à la Machinerie alors que les dernières recrues ont vraiment fait le choix délibéré de venir travailler dans notre équipe. Après, il peut y avoir un piège dans le recrutement qui consiste à embaucher exclusivement des personnes qui nous ressemblent. Je crois au contraire qu’il faut accepter d’aller chercher des profils qui vont nous déstabiliser et amener des petites confrontations dans les idées, car c’est ce qui va faire grandir l’organisation.

Machinerie : La gestion des ressources humaines dans le milieu des arts et de la culture présente-t-elle des enjeux particuliers? Quelles solutions peuvent être mises en œuvre par les organisations pour pallier ces défis?

Rachel : Dans le milieu des arts et de la culture plus spécifiquement, nous croyons que nos enjeux pour pérenniser des équipes résident dans le manque de ressources financières et matérielles. Il est répandu comme gestionnaire d’accepter un mandat offrant des conditions de travail moindres parce qu’on œuvre dans le milieu stimulant des arts, mais ce n’est pas un choix pérenne! Les expertises que nous portons et notre capacité à œuvrer autant comme grands généralistes que comme grands spécialistes ont une grande valeur. Il y a plusieurs initiatives qui peuvent être mises en place pour pallier cette réalité. La première étape selon moi devrait être la consolidation des équipes déjà en poste. On peut y aller par étape, en proposant par exemple des augmentations annuelles en se basant sur l’indexation du prix à la consommation. Mais on peut penser également à d’autres initiatives au-delà des conditions monétaires, par exemple la flexibilité de l’horaire, la possibilité de faire du télétravail, faire profiter l’équipe d’invitations pour aller voir des spectacles, réserver un budget pour des formations à l’externe pour les employé·e·s, offrir une photographie professionnelle aux frais de l’organisation au début du mandat, etc. Ce sont des petites choses qui peuvent faire la différence et donner envie à quelqu’un de s’impliquer de façon plus pérenne dans une équipe. Ensuite, quand l’équipe en place est bien consolidée, on peut penser entamer un processus de recrutement lorsque des ressources suffisantes sont disponibles.

Machinerie : Mais, même avec de bonnes conditions, le milieu culturel connaît une certaine pénurie de main-d’œuvre.

Rachel : Effectivement. À la Machinerie, nous recevons souvent des demandes d’organisations qui peinent à recruter, alors qu’elles offrent des conditions salariales équivalentes à d’autres secteurs d’activités. Je pense qu’il y a un énorme travail à faire de revalorisation – ou de valorisation car je ne sais pas si ça a déjà été valorisé -, de tous les métiers de gestionnaires culturel·le·s, de tous les emplois complémentaires à l’acte de création, qui contribuent à développer et enrichir notre patrimoine collectif. Je ne sais jamais quoi répondre quand, à la douane ou dans mon entourage par exemple, on me questionne sur mon métier. C’est un métier inconnu, que les gens comprennent mal.

Machinerie : Peux-tu nous parler du type de gestion des ressources humaines qui est mis en place à la Machinerie?

Rachel : À la Machinerie, nous avons adopté un modèle de partage des responsabilités basé notamment sur le principe d’autodétermination. Nous avons tous et toutes été engagé·e·s pour des mandats spécifiques, mais nous sommes très perméables dans la répartition des tâches. Pour chaque mandat, il y a souvent un·e porteur·euse principal·e et deux ou trois porteur·euse·s secondaires qui apportent leur soutien dans la réalisation du projet. Cette façon de travailler permet d’enrichir la vision que j’essaie de porter, qui est en fait la vision des co-fondateur·trice·s de la Machinerie et celle des administrateur·trice·s actuel·le·s du conseil d’administration. Ce n’est pas toujours facile et cela prend du temps car il faut se relancer, se faire confiance et parce que tout le monde travaille un peu à son rythme et avec ses propres méthodes. En tant que direction générale, cela implique de faire preuve de lâcher-prise et d’accepter de ne pas avoir pas le contrôle sur tout. La confiance, c’est ça la clé. Et ça commence par la confiance en soi, en son propre rôle de leader.

Machinerie : Sens-tu que cette méthode a un impact positif dans la réalisation des mandats?

Rachel : Cela prend du temps à instaurer, mais c’est beaucoup plus facile depuis que nous avons commencé à travailler avec un facilitateur de gestion de tâches (Meistertask), et ce, à plusieurs niveaux. Cela m’a par exemple enlevé une charge mentale énorme : tout d’un coup, tout ce qui était dans plein de tiroirs de mon cerveau se retrouvait dans un logiciel organisé pour ça, avec des échéances que tu peux reporter, etc. Cet outil a aussi permis de clarifier le système de porteur·euse de projet. C’est plus facile de jouer le rôle de « chef d’orchestre » et de répartir les projets et les responsabilités entre les membres de l’équipe, et d’assurer le suivi. L’enjeu principal d’une telle gestion est de s’assurer que la répartition des dossiers soit équitable et que chaque personne de l’équipe soit stimulée dans son travail au quotidien. Ce que je souhaite, c’est que la Machinerie soit une sorte de pépinière de gestionnaires culturel·le·s, un tremplin, autant pour des artistes qui veulent se former en administration des arts, que pour des gestionnaires culturel·le·s qui souhaitent développer leurs compétences ou leur ancrage dans le milieu de la culture.

Le plus grand enjeu est donc à mon sens de trouver un style de leadership qui corresponde à sa personnalité, à sa génération. Et de toujours rester 'agile'.

Machinerie : Selon toi, est-ce que le modèle de hiérarchie horizontale pourrait être plus développé dans le milieu de la culture?

Rachel : C’est une bonne question. C’est un modèle assez radical et il faut vraiment y réfléchir collectivement : est-ce que c’est le bon modèle pour notre organisation? Je trouve qu’en ce moment à la Machinerie, on touche à un entre-deux qui fonctionne très bien. 

 Dans le cas des compagnies de création à créateur·trice unique, j’aime beaucoup le concept d’une direction bicéphale – direction générale / direction artistique -, que peuvent compléter de manière ponctuelle des ressources plus spécialisées pour des mandats spécifiques. C’est un modèle auquel je crois beaucoup parce que je crois à la complémentarité. J’ai été dans cette posture de direction générale et c’est très intéressant d’avoir des méthodes et des approches parfois aux antipodes d’une direction artistique, car on voit que ça a un impact positif sur le déploiement de l’organisation.

Machinerie : Tu sembles réfléchir beaucoup également à la façon d’incarner le rôle de direction générale.

Rachel : Oui. J’ai eu un déclic récemment lors d’une conversation avec Paul Langlois (gestionnaire culturel) dans le cadre du Microprogramme de leadership artistique à l’École nationale de théâtre. Il m’a fait réaliser que le rôle d’une direction n’est pas ce que j’avais expérimenté auparavant, à savoir une direction générale qui embrasse toutes les responsabilités et délègue un peu par type de compétences à son équipe. Son postulat est au contraire que la direction générale est au service de son équipe et que son rôle est de les accompagner, de dénouer les problèmes qu’ils rencontrent, et de se rendre disponible pour les aider à accomplir leur mandat. Cette discussion a vraiment fait écho en moi et a clarifié mon rôle par rapport à l’équipe.

 La situation provoquée par la Covid a également eu un impact sur la façon dont j’entrevois mon rôle. J’ai réalisé, par exemple, qu’en fermant le bureau physique de la Machinerie l’environnement de travail impactait beaucoup notre dynamique de travail. Nous étions dans un espace ouvert, clairement trop petit, et dès qu’il y avait une question, elle m’était toujours adressée. Il ne pouvait pas y avoir de discussions entre deux personnes de l’équipe sans que la direction intervienne, ce qui me donnait le sentiment d’être constamment interrompue, de ne pas pouvoir me concentrer. Avec le télétravail, ces discussions-là peuvent avoir lieu sans que je sois impliquée. Cela fait qu’il y a une plus grande prise en charge des mandats par chaque personne de l’équipe. On a des réunions régulièrement pour échanger sur les projets, mais nous avons de plus grandes périodes de travail seul·e·s et une meilleure qualité de présence, il me semble.

Machinerie : Certains employeurs ont des réticences par rapport au télétravail et ont peur que cela ait un impact négatif sur le rendement et le travail. Toi, tu sembles à l’inverse n’y voir que du positif.

Rachel : Avant le contexte de pandémie, j’avais des craintes liées au télétravail, parce qu’on n’avait pas vécu collectivement cette expérience, donc on n’avait pas tous les outils pour ça. Au final, je pense que mes réticences étaient non fondées. Cela fait maintenant six mois qu’on travaille à distance, il faut attendre encore avant de faire le bilan du changement, mais pour l’instant, il y a pour toute l’équipe quelque chose de très positif dans cette expérience-là. On a mis en place des outils et des façons de travailler. Au début par exemple, on se rencontrait une fois par jour pour aborder un sujet spécifique (lundi : planification de la semaine, mardi : suivi des services, etc.) ; depuis peu, on a diminué à trois réunions par semaine. Il me semble essentiel d’avoir ces moments pour se retrouver, échanger sur ce que l’on fait, pour placoter d’autres choses aussi que du travail.

Machinerie : En tant que directrice générale, tu sembles avoir à cœur le bien-être des membres de ton équipe et leur développement personnel. Comment favoriser cet épanouissement dans ton équipe?

Rachel : Si leur épanouissement est une priorité, c’est parce que c’est aussi une priorité pour moi! Une des clés, je pense, est de favoriser les apprentissages et le développement de compétences dans d’autres domaines que le nôtre. Par exemple, à la Machinerie, certain·e·s d’entre nous œuvrent dans un milieu disciplinaire en particulier, mais nous sommes amené·e·s à travailler pour des artistes qui ont d’autres types de pratiques artistiques, ce qui est déjà une belle force de stimulation. Il me semble aussi important de développer la confiance dans son travail, dans sa capacité de gérer et mener à bien un projet, et de renforcer certaines habiletés et compétences. J’organise des rencontres de ressources humaines avec chaque membre de l’équipe une fois par an pour faire le bilan et voir pour la suite. Ce n’est sans doute pas assez, mais je pense que les canaux de communication sont ouverts, et que s’il y avait un enjeu ou quelque chose de majeur, la discussion aurait lieu en dehors de ces rencontres. 

Après, je pense qu’il faut accepter parfois qu’une collaboration puisse se terminer. Je vois un danger dans notre milieu à associer une personne à une organisation. Je crois fortement au renouveau des institutions. Je pense qu’à un moment donné ma responsabilité comme directrice va être de quitter pour laisser la place à quelqu’un d’autre. Alors, si je me permets d’avoir cette réflexion-là, il faut que chaque personne de l’équipe sente aussi qu’il va cheminer dans l’équipe de la Machinerie d’un point A vers un point B de sa carrière. Il faut prendre en considération les besoins de notre organisation, mais aussi ceux des personnes qui contribuent à son développement.

Machinerie : Pour finir, à ton avis, en quoi réside une bonne gestion des ressources humaines?

Rachel : Je dirais que la toute première chose est l’écoute. C’est difficile écouter, sûrement une des choses les plus difficiles qui existent, mais une des plus importante. Cependant, l’écoute n’est jamais suffisante, il faut, je crois, se baser sur notre intuition, car il y aura toujours des choses non dites, non verbalisées. Troisième chose, le temps. Ça prend du temps d’apprendre à connaître quelqu’un – se connaître soi-même constitue déjà tout un processus. Selon moi, pour une bonne gestion des ressources humaines, la direction devrait y consacrer environ 15 à 30% de son temps. En quatrième position vient l’agilité (le concept d’agilité dans le domaine de la gestion de projets comprend notamment la notion d’adaptation au changement et de remise en question constante des processus de façon à les améliorer). L’agilité dans le déploiement d’une organisation implique qu’il y ait également une agilité dans la gestion des ressources humaines qui peut être parfois un peu vertigineuse, mais qui me semble essentielle.

Machinerie : Le mot de la fin?

Rachel : Personnellement, je suis une jeune gestionnaire et je réalise que je n’ai pas vraiment de modèles de leadership au féminin de directrices de ma génération. J’aimerais être mentorée par une femme qui m’inspire! Le plus grand enjeu est donc à mon sens de trouver un style de leadership qui corresponde à sa personnalité, à sa génération. Et de toujours rester « agile ». J’aimerais, par exemple, être capable comme gestionnaire culturelle de relever le défi d’avoir une organisation qui se transforme pour être complètement inclusive. C’est une grande préoccupation pour moi et je sais que c’est moi qui doit être vectrice de changements en tant que direction, que je dois m’assurer d’avoir un comportement adéquat pour faire évoluer ces causes qui me tiennent à cœur. Dans le contexte de la Machinerie, nous avons fait le choix de réfléchir à tout cela en groupe et c’est une grande chance.

Rachel Billet s’intéresse aux modèles innovants d’organisation dans le secteur des arts vivants depuis sa maîtrise Métiers des arts et de la culture (Université Lyon 2) en 2007. Sa recherche de fin d’études sur la co-construction des espaces de diffusion à Montréal l’amène à rejoindre les membres de La 2e Porte à Gauche de 2010 à 2016, où elle assurera la Direction générale de l’organisme les trois dernières années. En parallèle, Rachel a exercé durant 8 ans au sein de cellules administratives de plusieurs organismes (à tour de rôle : Les éditions Esse, les Sœurs Schmutt, le festival OFFTA, l’Agora de la danse) et a assuré des mandats de consultation ponctuels auprès de nombreux artistes. Rachel connait bien les défis organisationnels des créateurs et des organismes culturels, la gestion de projets artistiques et s’inspire sur le terrain de la théorie de l’Acteur-réseau.

Cartographie des réseaux de diffusion

Cet article s’adresse aux artistes et compagnies de création et de production qui commencent leurs premières initiatives de tournée; où aux nouveaux arrivant·e·s qui souhaitent comprendre les rouages du milieu culturel québécois.

La diffusion est essentielle pour prolonger la durée de vie d’un spectacle et agrandir le rayonnement d’une compagnie. Dans un contexte de suroffre culturelle, il faut être stratégique : démarrer sa sollicitation en contactant les bonnes parties-prenantes, assembler du matériel promotionnel, établir un échéancier. Pour parvenir à susciter de bons résultats, il devient également vital de bien connaître les structures qui régissent le milieu. Celles-ci peuvent devenir des ressources-clés dans les efforts de diffusion d’un spectacle!

Les réseaux régionaux.

Afin d’assurer l’accès à une offre artistique de qualité et diversifiée, de nombreux diffuseurs se sont organisés en réseaux couvrant un territoire donné. Pour dresser un portrait de leur organisation et de leur place dans l’écosystème artistique, nous avons répertorié les principaux réseaux de diffusion régionaux couvrant un territoire donné du Québec, ainsi que certains réseaux francophones du reste du Canada.

Accès culture : Principal réseau établi sur l’Île de Montréal et certainement le plus diversifié en terme de population desservie. Accès culture regroupe les maisons de la culture disséminées sur les 19 arrondissements de l’Île. Il est géré par la Ville de Montréal.

• Regroupe 24 diffuseurs qui présentent événements et expositions artistiques dans plus de 60 lieux de diffusions

• Offre un programme de dépôt de projet en ligne qui permet aux artistes de soumettre leurs oeuvres à un grand nombre de diffuseurs et à certain projet de faire l’objets de tournées sur le territoire montréalais.

 

Association des diffuseurs culturels de l’Île de Montréal (ADICÎM) : Second réseau régional situé sur l’Île de Montréal, l’ADICÎM opère dans les municipalités reconstituées de l’ouest de l’Île.

• Regroupe 10 diffuseurs établis à Pointe-Claire, Côte Saint-Luc, Westmount, Montréal-Ouest, Kirkland, Dorval, Mont-Royal, Dollard-des-Ormeaux, Sainte-Anne-de-Bellevue et Beaconsfield.

• Réseau pluridisciplinaire qui participe activement au développement des arts de la scène et des arts visuels, mais dont le plus grand volume de projets diffusés sont en musique.

 

Conseil des Arts de Montréal en tournée : Programme offert en partenariat avec Accès culture et l’ADICÎM, permettant aux artistes sélectionnés de reprendre des oeuvres lors de tournées montréalaises dans les lieux de diffusion des deux principaux réseaux du territoire.

 

Réseau Scènes : Réseau Scènes couvre le territoire du grand Montréal et des régions avoisinantes.

• Regroupe 15 diffuseurs de Laval, des Laurentides, de Lanaudière, de la Montérégie, de l’Outaouais, ainsi qu’à Sainte-Geneviève.

• Réseau pluridisciplinaire spécialisé en théâtre de création (voir la note à la fin de l’article).

• Paroles de diffuseurs, paroles d’artistes : vitrine de discussion entre diffuseurs et artistes organisée à chaque automne. Cet événement permet à un diffuseur de vulgariser le travail et la vision d’un artiste avec qui il a travaillé auprès de ses collègues diffuseurs.

 

Réseau centre : Réseau centre couvre les régions du centre du Québec, principalement dans l’axe Montréal-Québec.

• Regroupe 23 diffuseurs des Cantons-de-l‘Est, de Chaudière-Appalache, de la Capitale-Nationale, du Centre-du-Québec, de la Mauricie et de la Montérégie.

• Réseau pluridisciplinaire spécialisé en musique (classique et autre) et chanson.

 

Réseau des Organisateurs de Spectacles de l’Est du Québec (ROSEQ) : Réseau régional opérant sur le plus grand territoire de la province, ROSEQ couvre presque toutes les régions à l’est de la ville de Québec.

• Regroupe 32 diffuseurs établis en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine, sur la Côte-Nord, au Bas-Saint-Laurent, jusqu’à Lotbinière.

• Réseau spécialisé en musique et chanson • Fonctionne sur deux réseaux de diffusion parallèles :

• Réseau des salles : Saison régulière

• Réseau d’été : Petites salles saisonnières (300 places max.)

• Organise deux vitrines artistiques annuelles pour présenter des oeuvres aux diffuseurs, sur invitation :

• Rencontre d’automne : vitrine pour le réseau des salles et le réseau d’été

• Rencontre du printemps : vitrine pour le réseau d’été seulement

• Organise la tournée en cas de sélection dans la programmation.*

 

Objectif Scène : Objectif scène couvre la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

• Regroupe 7 diffuseurs pluridisciplinaires et 4 diffuseurs spécialisés (musique de création, blues & jazz et théâtre), dont certains appartiennent aux municipalités et gérés par leur service des loisirs.

• Réseau pluridisciplinaire spécialisé en musique de création et en humour *Certains diffuseurs d’Objectif Scène collaborent parfois aux tournées du ROSEQ.

 

Spectour : Ce réseau régional de diffusion couvre la région de l’Abitibi-Témiscamingue.

• Regroupe de 9 lieux de diffusions appartenant aux municipalités et qui sont gérés par leur service des loisirs

 

Diffusion Inter-Centres : Diffusion Inter-Centres est un réseau interrégional regroupant des diffuseurs établis dans plusieurs grands centres du Québec.

• Regroupe 14 diffuseurs établis à Drummondville, Gatineau, Granby, Joliette, Sainte-Thérèse, Laval, Québec, Saguenay, Sherbrooke, Saint-Hyacinthe, Saint-Jérôme, Terrebonne, Trois-Rivières & Victoriaville, dont les salle ont plus de 750 sièges.

• Organise ou facilite parfois des tournées entre les diffuseurs qu’il regroupe.

Les réseaux canadiens francophones.

La diffusion francophone ne se limitant pas au Québec, il existe des réseaux de diffusion ailleurs au Canada qui ont pour mission de programmer des artistes d’expression française.

 

Réseau Ontario : Ce réseau vise à diffuser les artistes franco-ontarien, ainsi que les artistes francophones en général.

• Regroupe 36 diffuseurs pluridisciplinaire établis dans trois secteurs distinct : l’est, le nord et le sud de l’Ontario

 

Réseau atlantique de diffusion des arts de la scène (RADARTS) : RADARTS couvre le territoire des provinces atlantiques et a pour mission de valoriser et et promouvoir les artistes acadiens et francophones.

• Regroupe 41 diffuseurs pluridisciplinaires et spécialisés établis au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard, à Terre-Neuve-et-Labrador et aux Îles-de-la-Madeleine.

• Réseau pluridisciplinaire spécialisé en musique et en humour francophone.

 

Réseau des grands espaces : Le Réseau des grand espaces est un réseau de diffuseurs d’expression française couvrant tout le territoire à l’ouest et au nord de l’Ontario.

• Regroupe 76 diffuseurs établis au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta, en Colombie-Britannique, au Yukon, au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest.

Réseaux et associations disciplinaires.

Bien que la majorité des diffuseurs québécois fassent partie d’un des nombreux réseaux territoriaux, il est important de souligner la présence parallèle de plusieurs réseaux dits « disciplinaires », qui regroupent des diffuseurs spécialisés dans une discipline précise. Avec les nombreuses associations disciplinaires qui travaillent au développement de la diffusion de leur secteur, ces réseaux spécialisés complètent le coeur de l’écosystème de la diffusion au Québec. Voici quelques exemples de réseaux disciplinaires et d’associations qui travaillent directement au développement de la diffusion de la discipline qu’ils représentent (à noter qu’il en existe bien d’autres).

 

Les Voyagements : Réseau de diffusion regroupant 47 diffuseurs spécialisés en théâtre de création pour adulte.

 

La danse sur les routes du Québec (DSR) : Organisme oeuvrant auprès des compagnies et des diffuseurs afin de développer la diffusion de la danse par des vitrines, l’enrichissement des connaissances et autres événements de diffusion.

 

CanDanse : Réseau national voué à la création et à la diffusion de danse contemporaine regroupant 46 diffuseurs à travers le Canada.

 

Conseil québécois de la musique (CQM) : Regroupement d’artistes et organismes issus domaine de la musique de concert ayant pour mission de développer le secteur par de la formation et l’offre d’une vitrines artistiques en ligne, Circulation de la musique.

Les clés de la diffusion.

Avec ces informations en main, il devient plus facile pour un·e artiste ou compagnie de cibler quels réseaux de diffusion sont les plus appropriés pour leur pratique. Ceci dit, il ne suffit pas simplement de frapper aux portes du bon diffuseur pour immédiatement intégrer sa programmation. La qualité de son offre artistique, le matériel promotionnel soumis, ainsi que la relation interpersonnelle qu’on entretient avec les diffuseurs sont toutes aussi essentiels. De plus, il faut garder à l’esprit les réseaux de diffusion ont eux-même comme mission de répondre à la demande artistique propre aux populations qu’ils desservent. Il doivent composer en partie avec des impératifs qui leur sont imposés par le public. Somme toutes, c’est en établissant un échéancier et une stratégie de sollicitation qu’on augmente ses chances de rejoindre de nouveaux publics et d’étendre ses activités.

N. B. : Les information partagées dans cet article sont tirées directement des sites des des organisations décrites, ainsi que des documents compilés par la Machinerie avec l’aide de ressources reconnues dans le milieu.

Comment optimiser ses outils numériques pour faciliter son travail de diffusion?

Le déploiement d’un spectacle nécessite énormément de ressources, tant au niveau humain que financier et temporel. Ceci dit, il est possible d’augmenter l’efficacité et le rayonnement de ses sollicitations grâce aux outils numériques.

L’équipe de la Machinerie a rencontré Pierre-David Rodrigue, directeur général de La Danse sur les routes du Québec, afin de nous partager ses réflexions sur le sujet.

Machinerie : Comment bien s’outiller pour la diffusion à l’ère du numérique?

Pierre-David : Le premier outil qui permet la fidélisation de diffuseurs est la base de données détaillée et à jour. Cela désigne un aussi un logiciel qui peut fonctionner en interopérabilité avec d’autres systèmes (par exemple, pouvoir générer des infolettres ciblées à partir de cette base de données). Tout comme il y a de plus en plus d’initiatives pour mieux connaître son public, les compagnies de production doivent déployer les mêmes efforts que du côté des diffuseurs. Cela demande néanmoins un investissement de temps monumental, car cette base de données doit être construite sur du long terme. L’idée est d’offrir des communications de plus en plus personnalisées aux diffuseurs, tout en simplifiant leur travail. Nous voulons offrir de la valeur ajoutée dans notre offre culturelle, l’accès au bon contenu et à du matériel visuel. Ceci dit, offrir cette facilité aux diffuseurs provoque plus de travail du côté des compagnies et collectifs. C’est dans ce contexte que des stratégies numériques et des outils de travail peuvent faire la différence. Si nous construisons des outils détaillés et à jour, automatisons plusieurs tâches, rendons les systèmes interopérables, la performance est plus simple à atteindre.

Machinerie : Est-ce qu’il existe des CRM accessibles et peu coûteux?

Pierre-David : Investir dans un Customer Relationship Management (un outil de gestion de relation client) peut en valoir la peine afin d’avoir accès à l’intelligence d’affaires disponible (c’est-à-dire les tableaux de bord, les filtres de recherche, l’archivage, etc.). Les coûts découlent principalement du temps investi par l’équipe pour construire une base de données pertinente. Au final, peu importe que ce soit un logiciel (Filemaker), une base de données web (Airtable, Eudonet) ou un gros fichier Excel. Ultimement, ce qui rend l’outil puissant,c’est la logique d’organisation du travail qui est derrière et l’expertise pour valoriser les données. L’outil importe peu, tant que l’information contenue dans ce CRM ne dort pas.

Aussi, il est vital d’en revenir à l’aspect humain incontournable dans les efforts de diffusion. C’est une chose de faire des envois ciblés, de construire l’historique d’un diffuseur. Cependant, il faut entretenir une relation humaine avec ces individus, et cette force interpersonnelle ne résulte pas d’un outil performant. Il faut donc une combinaison des deux!

Ultimement, ce qui rend l’outil puissant,c’est la logique d’organisation du travail qui est derrière et l’expertise pour valoriser les données. L’outil importe peu, tant que l’information contenue dans ce CRM ne dort pas.

Machinerie : Les efforts de diffusion se fondent autour de la culture interpersonnelle et du dialogue entamé avec son réseau de diffuseurs. Comment le CRM s’insère dans ces actions relationnelles?

Pierre-David : Premièrement, la rencontre humaine est complémentaire et essentielle. Je ne pense pas qu’il est possible de faire le développement d’un spectacle en ayant qu’un excellent CRM, une campagne d’infolettre ou un site web. Il y a des compagnies qui font du très bon travail de diffusion en ne misant que sur le contact humain et qui ont un site web et des outils de travail ordinaires. Après, est-ce qu’ils vont au maximum de leur capacité? Iraient-ils plus loin avec de meilleurs outils? Le facteur relationnel est déterminant et ne s’enlève pas de l’équation. Les diffuseurs reçoivent tellement de sollicitations! S’ils ne connaissent pas l’artiste, ils risquent de moins accorder de valeur au produit culturel.

C’est la présence physique qui est essentielle, dans les événements contact, lors de spectacles, au cours des premières, pour développer son réseau de diffusion. Il faudrait avoir un budget de voyage, si possible. Il est possible de faire de la diffusion sans rencontres, mais c’est plus ardu. Il faut un équilibre entre les deux.

La personne qui a une pensée numérique va adapter sa culture de travail pour ne pas simplement archiver des informations dans sa base de données. Il faut les mettre en relation et les utiliser. Créer de l’automatisation. En développant des spectacles et des marchés sur plusieurs continents, il faut des outils qui sont là pour se charger de faire une partie du travail à sa place. Par la suite, il faut utiliser son expertise et son expérience pour interpréter ces informations. Les efforts de diffusion sont performants selon la capacité que l’on peut déployer à évaluer ses marchés.

Machinerie : Bref, le numérique ne pourra jamais remplacer l’humain!

Pierre-David : Le numérique nous permet de mieux travailler, d’aller plus loin. Peut-être de travailler plus finement. Les outils permettent de développer un plus grand réseau de diffuseurs que nous ne serions pas capable de gérer simplement avec un rolodex de cartes d’affaires. Ou avec un même niveau de précision. Mais cela peut nous aider à gérer un plus grand volume de relations!

Au final, les outils numériques viennent complémenter un savoir-faire et une présence humaine qu’il faut nécessairement développer. Le défi est d’agrandir son réseau et le volume de sollicitations!

Pierre-David Rodrigue a siégé sur de nombreux conseils d’administration, notamment à Danse-Cité. Détenteur d’une maîtrise en gestion des entreprises culturelles de HEC Montréal et d’un baccalauréat en arts visuels et médiatiques de l’UQAM, il a fait ses armes au Conseil québécois de la musique, où il a, entre autres, mis en œuvre un plan d’action visant le développement des tournées et réalisé les Grands rendez-vous de la musique. Mentor à HEC Montréal, il a participé à des conférences sur les enjeux de la diffusion.

Depuis son arrivée à La danse sur les routes du Québec il a su être un agent de changement qui a favorisé l’implantation de pratiques inclusives pour les artistes visés par l’équité. Il a aussi assumé un leadership rassembleur en créant le Laboratoire de développement des publics de la danse à l’aide du numérique et en initiant l’une des premières mutualisations de données de la danse au Québec.

Élaborer le déploiement de sa mission : plan stratégique ou plan d’action?

Cet article s’adresse aux directions générales et artistiques d’une compagnie de création ou de tout organisme culturel ainsi qu’aux individus qui siègent sur des conseils d’administration.

Dans chaque organisation culturelle, les directions sont amenées à planifier le déploiement de leur mission et le développement de leurs activités à court, moyen et long terme. Pour ce faire, elles émettent toutes sorte de plans (plan d’affaires, plan stratégique, plan d’action, plan de communication) et déterminent plusieurs échéanciers. Selon le contexte, quel type de plan est utile? Quelle est la différence entre un plan stratégique et un plan d’action? Comment ces divers plans dialoguent-ils entre eux? Quelles sont les clés de leur mise en exécution concrète? Il existe bien évidemment plusieurs façons de faire qui varient selon les secteurs, les ressources de l’organisation et sa « maturité » organisationnelle.

Ai-je besoin d’un plan d’affaires?

Certains plans sont circonstanciels à une étape de développement; d’autres sont cycliques sur des durées variables. Par exemple, un plan d’affaires s’avère nécessaire lorsqu’une organisation doit convaincre les parties prenantes que son projet « tient la route ». Il sera donc plus pertinent au démarrage d’un organisme ou s’il y a un changement majeur qui vient modifier le modèle financier et d’affaires (par exemple, l’immobilisation d’un lieu de création). Un plan d’affaires va présenter en détail les objectifs projetés du projet, contenir une description détaillée de la structure souhaitée, du mode de fonctionnement et va annexer un plan budgétaire de financement (budget du démarrage et budget des opérations). Pour des structures plus « classiques » dont le modèle a été maintes fois approuvé (par exemple, une compagnie à créateur·trice unique), cet exercice semble moins pertinent. Il peut être un bon allié pour définir une structure beaucoup plus atypique (par exemple, un organisme de service, un modèle mutualisé, etc.).

Complémentarité entre un plan stratégique et un plan d’action.

Pour certains, la différence entre un plan stratégique et un plan d’action n’est pas très évidente. Ce sont les contenus qui varient, ainsi que la nature de l’exercice de réflexion qui va mener à leur rédaction. Un plan stratégique s’inscrit dans une démarche plus générale et large d’introspection organisationnelle. Celui-ci définit les orientations fondamentales pour l’avenir de l’organisation. Il s’agit donc un plan à moyen terme qui porte sur les objectifs et sur les grandes lignes des actions à mener en fonction des choix stratégiques. Il peut contenir une actualisation de la mission, une définition d’une nouvelle vision (le grand rêve!), une définition des valeurs; cela concerne davantage l’identité de la compagnie, son ADN. Les autres éléments importants qui constituent un plan stratégique sont la liste numérotée des enjeux et des orientations, la mise en œuvre de ces derniers à travers des actions. On peut aussi y ajouter le mode de fonctionnement de l’organisation (par exemple, le rôle succinct de la direction, du CA, de l’équipe, etc.) Un plan d’action est beaucoup plus synthétique et se présente souvent sous forme de tableau. Il permet de présenter dans le détail les actions à mener et les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs quantitatifs ou qualitatifs à moyen terme. Il constitue un outil de travail qui assure le processus nécessaire pour la réalisation de la mission, en répondant aux questions essentielles : Quoi? Quand? Par qui? Comment? Selon quels barèmes? Ces deux outils sont donc très complémentaires puisque le plan d’action permet de mettre en œuvre le plan stratégique. Selon les besoins d’une organisation, sa taille et ses enjeux, il arrive d’effectuer un seul plan « hybride » qui contient autant les grandes orientations et stratégies que les actions très concrètes.

Bien souvent, le cheminement qui permet la rédaction d’un plan est tout autant important que le résultat comme tel. C’est l’occasion de mobiliser une équipe de manière transversale, de remettre en question certains principes, de rêver ensemble, de concrétiser des objectifs qui ont du sens et de prendre un certain nombre de décisions.

Quels sont les types de plans plus « opérationnels »?

Un plan d’action et un plan de communication sont des outils opérationnels à usage interne et ne sont pas nécessairement adoptés en conseil d’administration. Rien n’empêche toutefois de les présenter durant un conseil pour mobiliser des administrateurs sur des points spécifiques ou tout simplement informer de la tangente que prend l’organisation. Un plan de communication regroupe les stratégies de marketing, identifie les publics et objectifs pour les communications d’un projet tout en planifiant les actions, le budget et l’échéancier. Il est souvent rédigé par les directions et le·la responsable des communications.

Fréquence et durée d’un plan.

Il n’y a pas de standard concernant la durée d’un plan. Cela dépend des contenus du plan, du type d’organisation ou des événements (par exemple, une nouvelle direction). Un plan peut donc être annuel, bisannuel, quadriennal, quinquennal ou pour une période de 18 mois. Il est intéressant d’arrimer la durée d’un plan sur le cycle des activités artistiques ou sur son cycle de financement pour ceux qui sont soutenus par un bailleur de fonds de manière récurrente. Cela simplifie l’élaboration des prévisions, des bilans d’activités, de l’analyse de l’impact et de l’atteinte de la mission. Au-delà de trois ans, un plan devient rapidement désuet puisque le milieu artistique et culturel évolue très rapidement (transformation numérique, mutations des pratiques du milieu du travail, changement dans les ressources humaines, etc.). Les organisations peuvent donc rapidement ressentir le besoin de renouveler l’exercice réflexif pour repenser son modèle, ses rêves, ses objectifs.

Un plan : un outil pour gouverner.

Comme le dit l’expression latine d’Horace : « les paroles s’envolent, les écrits restent ». Cela constitue l’avantage notable d’utiliser des plans synthétiques qui deviennent des outils de référence pour l’ensemble d’une équipe. Formulés à l’écrit, ils sont facilement transférables à un·e nouveau·velle collaborateur·trice qui n’aurait pas participé aux réflexions initiales, par exemple. À la différence d’un verbatim d’une journée de réflexion, un plan a le bénéfice d’être concis, précis et très concret. Sa lecture est donc rapide et permet de travailler efficacement en équipe dans la réalisation du plan. Bien souvent, le cheminement qui permet la rédaction d’un plan est tout autant important que le résultat comme tel. C’est l’occasion de mobiliser une équipe de manière transversale, de remettre en question certains principes, de rêver ensemble, de concrétiser des objectifs qui ont du sens et de prendre un certain nombre de décisions. Ensuite, quand « tout s’accélère » et que les équipes sont dans le feu de l’action, le plan devient un guide et un moyen de prioriser. Un plan stratégique ou d’action perd tout son sens s’il est mis de côté et qu’il n’est plus consulté. Il peut servir de support chaque saison ou semestre pour faire une rétroaction des derniers mois et préparer ceux à venir. Ce sont aussi de bons outils pour émettre des ponts solides avec le conseil d’administration, la direction et les équipes en place.

Outils reliés à cet article : 111 Arbre décisionnel + 123 Plan d’affaires + 115 Plan stratégique + 116 Plan d’action

De la simple alliance vers la mutualisation de ressources

Plus qu’une simple collaboration entre des artistes et OBNL du milieu culturel, la mutualisation de ressources peut devenir un accélérateur dans le développement stratégique d’une compagnie.

L’équipe a rencontré George Krump, gestionnaire culturel ayant développé une expertise en mutualisation, afin de se prononcer sur cet enjeu.

Machinerie : Qu’est-ce que la mutualisation? Comment cette approche peut-elle se concrétiser dans la gestion d’une compagnie de production?

George : Il n’y a pas de définition ou de modèle unique de la mutualisation. Pour moi, il s’agit d’une manière de penser, de travailler en collaboration. Les fondements sont toutefois toujours les mêmes : l’action de partager ou de mettre en commun quelque chose. Bien entendu, dans la mutualisation, il y a l’idée de « mutuel », il faut regrouper plusieurs individus ou organismes dans un projet commun. Chaque partie prenante retire donc des bénéfices de cette collaboration, même si ces bénéfices ne sont pas nécessairement répartis également pour chaque partenaire.

Cette approche peut se concrétiser différemment selon la nature de la ressource à mutualiser. Il y a une multitude de possibilités de mise en commun. On pense tout de suite à des espaces, des équipements, des ressources matérielles. Cela pourrait être des individus aussi, que ce soit des employé·es ou une clientèle. Sinon, on peut souligner quelques exemples plus immatériels, c’est-à-dire des expertises, des connaissances, des données ou des territoires.

La mutualisation peut également se concrétiser dans la réalisation de la mission d’un organisme ou d’une compagnie. Des partenaires pourraient vouloir collaborer avec un OBNL ou un artiste complémentaire pour réaliser un projet ensemble (un organisme dont la force est la création et l’autre la médiation culturelle, par exemple).

L’idée n’est pas de prendre des biens et de les diviser en deux. Il s’agit plutôt de mettre en commun des ressources mutuelles ensemble. La somme des ressources impliquées rend le projet plus fort.

Machinerie : Est-ce que la mutualisation est différente d’un partenariat?

George : Partenariat, collaboration, ce sont différents mots qui vont parfois nommer la même chose. Un partenariat, le temps d’un projet, c’est une mutualisation. C’est pour cette raison que je considère la définition de la mutualisation de façon peu précise et flexible. La valeur ajoutée, c’est la façon de travailler ensemble. Dans une mutualisation, la considération de l’autre se fait en tout temps. Les parties prenantes demeurent constamment à l’affût de ce qui aurait le potentiel d’être partagé, ce qui pourrait être fait au bénéfice des partenaires.

En associant plusieurs parties prenantes ensemble, la somme de leurs actions devient plus forte. En mettant en commun les réseaux et communautés, l’impact d’une action devient plus grand, plus fort. On peut étendre notre influence et notre rayon d'action.

Machinerie : Comment envisage-t-on une telle démarche? Est-ce qu’il y a des étapes?

George : Selon le degré de complexité du projet de mutualisation, il n’est pas nécessaire de passer à travers une suite d’étapes, par exemple, pour le simple partage d’un objet.

Cependant, il y a pour moi trois conditions à remplir lorsqu’on envisage une démarche de mutualisation.

1. S’assurer d’avoir de bons partenaires.

2. Bien comprendre pourquoi les deux partenaires veulent réaliser cette démarche de mutualisation et toujours se référer à cette impulsion de départ lors de l’évolution du projet.

3. Avoir envie de collaborer ensemble. Au moins autant qu’en avoir besoin. Dans un contexte où un partenariat devient exclusivement utilitaire, les relations deviennent opportunistes et on risque de perdre l’essence même de la mutualisation.

Machinerie : Quels peuvent être les bénéfices d’une mutualisation de ressources?

George : Il faut considérer les conditions de départ, à savoir quelles sont les raisons pour lesquelles deux organismes ou individus décident de collaborer ensemble. Toutes sortes de bénéfices peuvent découler d’une mutualisation.

Bénéfices économiques : la mutualisation permet de bonifier nos activités en accédant à une capacité organisationnelle supérieure. Grâce à cette mise en commun de ressources, on peut mutuellement réaliser davantage car les capacités sont additionnées. Cela ne devient plus juste de l’économie, mais un réel partage d’expertises qui permet de produire plus. Toutefois, si l’économie monétaire est la seule raison de faire une mutualisation, ce n’est pas pérenne. Il ne faut pas sous-estimer les coûts d’une mutualisation. Plus il y a de partenaires, plus il y a du temps de coordination, ce qui a un coût en temps et en argent.

Bénéfices stratégiques ou politiques : en associant plusieurs parties prenantes ensemble, la somme de leurs actions devient plus forte. En mettant en commun les réseaux et communautés, l’impact d’une action devient plus grand, plus fort. On peut étendre notre influence et notre rayon d’action. Détail à ne pas négliger : collaborer avec un compétiteur peut bien paraître aux yeux des subventionneurs!

Bénéfices philosophiques : avoir une culture de travail cohérente avec nos valeurs ou notre mandat en instaurant une pratique de partage. Le bénéfice de ce genre de mutualisation se concrétise dans la collaboration même.

George Krump évolue dans le secteur des arts et de la culture depuis près de trente ans. Après des études en théâtre, il a œuvré pendant une quinzaine d’années comme comédien, marionnettiste, auteur, traducteur, médiateur culturel pour des compagnies francophones et anglophones, dans des productions grand public et jeune public, avant de se consacrer à la gestion culturelle, à la consultation et à la recherche.

Comme gestionnaire, il a occupé des postes de direction générale pour des compagnies de création et de production en théâtre et en danse — notamment Louise Bédard Danse pendant plus de dix ans ainsi qu’au Théâtre La Chapelle

Au cours des dernières années, il a réalisé plusieurs mandats à titre de directeur d’enquête ou de mandat, comme conseiller sénior ou animateur/facilitateur, auprès d’administrations municipales, d’institutions publiques, d’associations de secteur, d’organismes culturels et aussi auprès d’artistes individuels. Ces mandats étaient liés au développement culturel ou organisationnel, au patrimoine, aux enjeux de ressources humaines, à la planification stratégique, à la planification de projets de mutualisation, etc.

Comment savoir quand se constituer en OBNL?

Se constituer en OBNL ou ne pas se constituer : telle est la question qui survient bien souvent lorsqu’un·e artiste ou un groupe de créateur·trice·s cherche à bonifier la qualité et la portée de ses créations.

L’équipe a rencontré Paula Barsetti, directrice générale du Théâtre de la LNI et gestionnaire émérite, afin d’avoir son avis sur cette interrogation qui touche bon nombre d’artistes en développement.

Machinerie : Quels sont les facteurs à considérer et les questions à se poser avant de prendre la décision de se constituer en organisme à but non lucratif (OBNL)?

Paula : Il faut d’abord comprendre que la constitution est un engagement. Je pourrais comparer cet engagement à la différence entre habiter en colocation, et décider un jour d’acheter une maison avec des partenaires pour y vivre. En tant que locataire, on jouit d’une certaine liberté, il est possible de partir à tout moment ou de se faire remplacer par quelqu’un d’autre. Par contre, à partir du moment où on décide de passer à l’achat, on hérite de certaines responsabilités. Cela inclut, par exemple, la gestion d’un édifice et d’une hypothèque qu’on partage officiellement avec d’autres gens. Pour moi, la décision de se constituer doit répondre à la question : « Ai-je vraiment le désir de m’engager dans ce projet, considérant la charge requise pour sa mise en place? » Certain·e·s artistes voudront absolument garder leur indépendance, et d’autres, au contraire, auront un réel désir de s’investir dans un projet artistique plus engageant avec des collaborateur·trice·s. Il faut voir tout ça comme un·e entrepreneur·e qui démarre un commerce.

Machinerie : On parle d’ailleurs beaucoup de la notion d’artiste-entrepreneur·e dans le milieu culturel. Qu’est-ce que ça signifie?

Paula : Tout à fait. Historiquement, le milieu artistique était relativement réfractaire à ce parallèle, et on l’est encore. Cependant, au cours d’une formation à l’École des entrepreneurs du Québec, j’ai constaté qu’il n’y avait aucune différence entre les artistes et les entrepreneur·e·s. Que l’on travaille en culture ou dans un autre domaine, qu’on ait une entreprise à but lucratif ou à but non lucratif, un·e entrepreneur·e c’est une personne qui veut faire connaître ses idées, qui a ce besoin de gérer et de maîtriser son médium. Cela peut être un produit mercantile ou une création artistique. Ceci dit, il faut garder en tête que le principal enjeu de la gestion d’une compagnie ne consiste pas seulement à son enregistrement : ce n’est que le début!

Il faut aussi s’assurer que la structure d’un OBNL concorde pour ses besoins et ses activités, et savoir jusqu'où on est prêt à aller avec ce projet. Si on souhaite arriver à une pérennité au niveau du produit artistique, un OBNL permet de produire plus régulièrement et systématiquement.

Machinerie : Quelles sont donc, selon toi, les erreurs à éviter lorsqu’on prend la décision de se constituer en OBNL?

Paula : Je dirais que c’est justement d’avoir une méconnaissance de la charge de travail impliquée dans un tel engagement. Cette méconnaissance va dans les deux sens : certain·e·s artistes verront la gestion d’une compagnie comme quelque chose de lourd qu’ils·elles seront incapables de faire, et d’autres, voyant les nombreuses compagnies déjà existantes, se lanceront sans réfléchir. Cette surestimation ou sous-estimation des tâches provient souvent d’un manque de connaissances. Ces informations sont pourtant accessibles à l’aide de certains organismes qui existent pour accompagner les artistes. 

Il faut aussi s’assurer que la structure d’un OBNL concorde pour ses besoins et ses activités, et savoir jusqu’où on est prêt à aller avec ce projet. On peut, par exemple, avoir le souhait éventuel de passer d’une structure « à projet » à une compagnie soutenue au fonctionnement, ou bien décider d’avoir un collectif en garde partagée. Avec une structure moins fixe, on se réserve la possibilité de produire un projet quand on veut. Par contre, si on souhaite arriver à une pérennité au niveau du produit artistique, un OBNL permet de produire plus régulièrement et systématiquement.

Machinerie : la constitution en OBNL devient-elle un impératif pour le développement des activités d’un·e artiste ou d’un groupe de créateur·trice·s?

Paula : Oui, nécessairement. Il est possible d’avoir accès à certaines subventions pour des projets avec un collectif, mais davantage de financement est accordé aux OBNL. Les Conseils des arts ont besoin de savoir qu’il y a une personne morale et un conseil d’administration imputable au-dessus de ceux et celles qui créent. Ceci dit, la qualité artistique et la pertinence des collaborateur·trice·s de création demeurent les principaux éléments considérés. Dans un contexte de limitation budgétaire, l’évaluation de la gouvernance peut servir de filtre supplémentaire. Pour se constituer en compagnie, il est nécessaire d’avoir une fibre entrepreneuriale ou un entourage qui l’a. Il y a beaucoup d’artistes qui ne possèdent pas ce talent organisationnel, mais qui viennent s’entourer d’une équipe compétente, vont chercher des conseils dans leur réseau, ou une référence qui pourrait les outiller. Il n’est tristement pas rare de voir des artistes baisser les bras en voyant le travail administratif que leur projet de compagnie implique. Cependant, c’est légitime pour un artiste de ne pas vouloir se donner cette charge, et d’avoir une compagnie qui vive grâce à un·e allié·e pour faire ce genre de travail en complémentarité. Il y a aussi des modèles de gestion qui permettent à plusieurs OBNL de mutualiser leurs ressources administratives et matérielles afin que tout le monde en tire avantage.

Paula Barsetti œuvre depuis une quarantaine d’années dans le domaine théâtral, dans lequel elle est profondément impliquée. Elle a mis son savoir et sa passion au service de nombreuses entreprises, dont le Théâtre Sans Détour (de 1980 à 1996) où elle a agi comme comédienne, codirectrice artistique et directrice administrative, et dont elle est membre fondatrice. De 2002 à 2005, elle a assumé la direction administrative de la compagnie de théâtre Mime Omnibus. De 2005 à 2010, elle a été directrice générale associée et directrice des finances du centre multidisciplinaire et communautaire LE TAZ, où elle a étroitement participé à sa relocalisation et à son projet immobilier. La carrière de Paula Barsetti ne saurait se résumer à ces emplois, qui ne rendent compte que d’une facette de son parcours professionnel car elle n’a cessé de s’impliquer dans nombre de comités pour l’avancement de la discipline. En 2010, la compagnie de théâtre Les Deux Mondes avec notamment son partenariat avec le regroupement Aux Écuries, l’invite à joindre son équipe à titre de directrice administrative. En 2017 jusqu’à ce jour, Paula assume la direction générale du Théâtre de la Ligue Nationale d’Improvisation. Toujours passionnée par le théâtre et sensible à l’importance du rôle de la relève artistique, elle poursuit son engagement dans le milieu culturel en partageant son expérience auprès de jeunes créateurs.

 

crédit photo : Myriam Baril Tessier

Pourquoi développer une vision artistique?

La vision artistique est essentielle au développement sain d’une organisation culturelle. Comment devient-elle une source précieuse de motivation et d’inspiration au sein d’une équipe de travail?

L’équipe a rencontré Hanneke Ronken, stratège en innovation culturelle et sociale, afin de nous partager son expertise et ses réflexions sur le sujet.

Machinerie : Selon toi, à quoi sert le développement d’une vision artistique solide et cohérente? Cette vision se reflète-t-elle aussi dans la vision stratégique structurelle de compagnie?

Hanneke : Peu importe la taille d’une organisation, son identité et sa raison d’être sont basées sur la création de projets artistiques forts. Un artiste a comme mission d’avoir une vision du monde unique et, indirectement, de se tenir en marge de la logique capitaliste. Il y a une question profonde de sens au centre de sa posture professionnelle. Il est essentiel de creuser ce positionnement au-delà des projets artistiques. Il devient pertinent de se demander : pourquoi je fais ça? D’un point de vue existentiel, qu’est-ce que j’apporte à ma société au-delà d’une envie de créer ou d’une pulsion égocentrique? Comprendre le sens de notre vision artistique devient un vecteur extrêmement éclairant pour chaque partie prenante liée à l’organisme. Que ce soit pour le public, les gens avec qui tu travailles (artistes, employé·e·s, travailleur·euse·s autonomes, autres) ou les communications, être capable de circonscrire l’impact souhaité dans une vision inspirante est riche pour faire des choix stratégiques à long terme. Le fait d’avoir une vision, une mission et des valeurs bien définies impose un cadre qui va même jusqu’à guider les choix administratifs. Cela provoque une grande cohérence dans la façon de communiquer, d’opérer, de faire des choix pragmatiques. Cette vision doit également être claire et compréhensible pour les subventionneurs, et ultimement, pour le public qui voudra acheter des billets pour le spectacle.

Machinerie : On peut donc dire qu’une vision artistique réfléchie, une mission de compagnie articulée et des valeurs solides facilitent le travail administratif?

Hanneke : Exact. Je le constate à chaque fois que je commence des mandats de planification stratégique avec des organisations qui existent déjà depuis longtemps. La fluidité et la cohérence des actions, à toutes les échelles de décision, se réalisent plus facilement quand ces valeurs et énoncés sont clairs pour l’ensemble de l’équipe.

Le fait d’avoir une vision, une mission et des valeurs bien définies impose un cadre qui va même jusqu’à guider les choix administratifs. Cela provoque une grande cohérence dans la façon de communiquer, d’opérer, de faire des choix pragmatiques.

Machinerie : Quels outils préconises-tu pour mettre en place une forte vision artistique et organisationnelle? À quel point ces outils sont-ils nécessaires et réalistes dans la « vie » d’une organisation ? (FFOM, Étude de marché, Plan d’affaires, Plan stratégique, Plan d’affaires, etc.)

Hanneke : Pour moi, ces exercices ne servent absolument à rien s’ils sont faits en solo ou avec un·e consultant·e, sans aucune implication de l’équipe et du conseil d’administration. L’enrichissement a essentiellement lieu dans la cocréation et le codéveloppement. Partager les points de vue contradictoires entre les différents membres de l’équipe ajoute beaucoup de richesse aux discussions et permet de mieux identifier les angles morts d’une organisation. Cela permet de mieux comprendre l’évolution de l’organisation ainsi que de toutes ses parties prenantes, peu importe la hiérarchie de ceux-ci. Par la suite, un·e consultant·e peut venir faire parler les données et les chiffres pour en faire ressortir des conclusions factuelles importantes.

L’évolution d’un plan d’affaires, les différents diagnostics stratégiques, les forces et faiblesses d’une compagnie, la mesure des communications, les impacts des données objectives sont des exercices qui mériteraient qu’on s’y attarde en équipe afin de faire une radiographie de l’organisation ensemble, en date d’aujourd’hui. Observer celle du passée pour mieux réfléchir à celle du futur! Avant, la planification stratégique était surtout réfléchie avec la direction générale pour ensuite être un peu mise de côté. Aucun membre de l’équipe ne se sentait véritablement consulté et engagé dans le processus. C’était plutôt les postes en autorité qui imposaient une vision à ses subordonnés. Cette méthode de fonctionnement ne libère pas le plein potentiel d’une équipe. Pour moi, la clé d’une mise en action d’une vision et d’une mission de compagnie se réalise dans le codesign.

Hanneke Ronken est une stratège en innovation qui oeuvre dans le secteur culturel et social. Basée à Montréal, elle accompagne des organisations à tirer profit du futur émergent grâce aux approches créatives et analytiques de l’ère numérique.

L’épuisement professionnel dans le milieu de la culture

Que ce soit en tant que créateur·trice ou de travailleur·se culturel·le, l’épuisement émotionnel, mental et physique guette. Pour décembre, la Machinerie aimerait souligner ce phénomène sous-estimé, et grandement normalisé dans le milieu culturel.

L’équipe a réalisé une entrevue avec Stéphanie Laurin, gestionnaire culturelle et détentrice d’une maîtrise en gestion d’organismes culturels, dont le mémoire est orienté autour de l’épuisement professionnel dans le milieu de la culture.

Machinerie : Qu’est-ce qu’un épuisement professionnel? Comment en reconnaître les symptômes, les prévenir?

Stéphanie : Pour définir l’épuisement professionnel, je vais citer une définition qui, en mon sens, est on ne peut plus complète : « L’épuisement professionnel est un état de fatigue général se traduisant par un affaiblissement physique, une exténuation émotionnelle, des sentiments de désespoir, une perte de concentration, une fatigue intellectuelle ainsi que par le développement d’une attitude négative aussi bien vis-à-vis de soi-même, que de son travail, de la vie et des gens. L’épuisement professionnel est l’aboutissement d’un très haut niveau de stress au travail, maintenu trop longtemps. » (d’après l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail secteur « affaires municipales » (APSAM) avec la collaboration du Docteur Serge Marquis, 2003)

Cette définition est assez complète, car elle touche autant aux symptômes qu’aux causes. Puis, elle résume très bien en quoi consiste un épuisement professionnel.

On peut reconnaître les symptômes du burn-out à différents niveaux :

Symptômes physiques : fatigue généralisée, difficulté à se lever le matin, tension musculaire, problème respiratoire, affaiblissement du système immunitaire, nausées.

Symptômes comportementaux : sautes d’humeur, irritabilité, émergence d’un comportement toxique et un sentiment d’impuissance.

Symptômes psychologiques : attitude négative envers soi-même, attitude négative envers les autres, perte d’espoir, idées noires, diminution de la vigilance et même de la mémoire.

Pour prévenir l’épuisement professionnel, les études démontrent le rôle clé du dirigeant dans les OBNL. En effet, les habiletés de direction des superviseurs, leur style de gestion et la culture de l’entreprise affectent positivement ou négativement la santé mentale des coéquipiers. Avant même de parler d’évaluation de la charge de travail, il faut que la direction mette en application des dynamiques constructives permettant de satisfaire les trois besoins fondamentaux de l’employé·e, soit : le besoin d’autonomie, le besoin de compétence et le besoin d’affiliation sociale. Cela signifie, par exemple, la possibilité de participer aux prises de décision, l’accueil et la considération d’initiatives de l’employé, l’accès à un salaire adéquat, ainsi qu’offrir la latitude nécessaire pour que les membres de l’équipe sentent qu’ils peuvent évoluer au sein de l’organisme. La reconnaissance est absolument nécessaire pour renforcer le sentiment de compétence du travailleur·euse. Ce type de renforcement et faire preuve d’empathie instaure une approche bienveillante, digne d’une bonne gestion d’équipe. Quant au besoin d’affiliation sociale, il est alors question de la qualité de l’environnement de travail, de la qualité des relations interpersonnelles, de même que la position de l’individu au sein de l’organisme.

Le rôle du leader s’entremêle donc avec la culture d’entreprise, car l’un ne va pas sans l’autre.

Il ne faut toutefois pas oublier la responsabilité de l’individu. En effet, tant au niveau des employé·e·s que des dirigeant·e·s, les travailleur·euse·s se doivent aussi d’adopter certains comportements et de rester à l’affût de certaines situations pour éviter l’épuisement professionnel. Il doit agir comme baromètre quant à ses aptitudes dans l’accomplissement de ses objectifs et de la charge de travail. S’il sent qu’il en a trop, que les objectifs ne sont pas assez clairs, il en est de sa responsabilité de verbaliser le tout.

Machinerie : Qu’en est-il de la réalité des pigistes?

Stéphanie : On ne peut parler d’épuisement professionnel en culture sans parler du statut de pigiste très répandu. La condition de pigiste offre une flexibilité d’horaire, mais elle vient avec son lot de stress puisque chaque contrat à venir demeure incertain. Plusieurs personnes sont alors portées à trop en prendre en même temps, de peur de manquer de travail, ce qui leur occasionne une surcharge quantitative.

Les horaires instables des emplois contractuels qui caractérisent le statut de pigiste engendreraient davantage l’épuisement professionnel. Aucune structure de soutien ne peut permettre aux pigistes de s’arrêter pour prendre du mieux, comme ils n’ont pas droit à l’assurance-emploi dû à leur statut d’emploi. La surcharge quantitative est un facteur que l’individu doit lui-même être en mesure de jauger pour mieux répartir ses contrats.

On peut donc dire que c’est une tendance à surveiller, mais que personne d’autre que l’individu lui-même ne peut être en mesure d’équilibrer sa situation d’emploi.

Voilà la roue de la performance, de l’efficacité, de l’instantané, du « maintenant, tout de suite ». C'est-à-dire que les projets vont tellement vite et sont tellement intenses en culture qu’on ne prend pas le temps de se demander si ce système est pérenne ou même sain. On est trop dans une efficacité des choses. Je ne sais pas ce qui va changer la culture du milieu.

Machinerie : Pouvons-nous parler de « fatigue culturelle »? Est-ce que notre milieu est plus propice aux épuisements professionnels? Si oui, pourquoi?

Stéphanie : Oui, complètement. Pour le·la travailleur·euse culturel·le, l’élément fondamental est le sens au travail. L’individu doit être en phase avec ses motivations personnelles et ses tâches professionnelles. La plupart de ces travailleur·euse·s oeuvrent dans ce secteur par passion, comme c’est souvent le cas avec les autres métiers précaires (en santé, le secteur communautaire, etc.). Toutefois, le·la travailleur·euse culturel·le est investi d’une sorte de mission (artistique), d’un appel inexplicable et intangible envers l’art, qui est presque de l’ordre de la foi. Il est donc très difficile de faire une scission entre le travail et la vie personnelle. On ramène nos passions à la maison. Il n’y a donc pas d’espace de repos, de punch-out, si je puis dire. De plus, la précarité du milieu des arts peut créer une tension entre cette passion et l’incapacité d’agir dû au manque de ressources financières et humaines. À cela s’ajoute un facteur très insécurisant propre au milieu de la culture, c’est-à-dire l’absence de filet social (assurances, de congés maladie, etc.).

Machinerie : Quelles sont les bonnes pratiques pour avoir des habitudes professionnelles saines?

Stéphanie : Il faut scinder le travail et la vie personnelle. Il faut se trouver des trucs pour qu’il y ait une séparation entre le « moi » au travail, et le « moi » post-travail. Cela pourrait être aussi simple que de changer de vêtements en arrivant à la maison. D’autres astuces peuvent être utiles, par exemple, éviter d’utiliser son téléphone personnel pour les communications professionnelles, accepter qu’au-delà d’une certaine heure il n’est plus question de regarder (et répondre à) ses courriels, etc. Il est nécessaire de trouver des espaces de repos, mentaux et physiques. Ces espaces peuvent être le sport ou la méditation, qui gagnent en popularité pour des raisons évidentes. Les gens ont besoin de cet espace. C’est non seulement salutaire, mais essentiel.

Machinerie : As-tu un commentaire plus personnel à dire sur l’épuisement professionnel?

Stéphanie : J’ai l’impression que nous sommes dans une roue en marche et qu’il est difficile de la ralentir. Je n’applique pas moi-même mon exemple d’éviter de répondre aux courriels passé une certaine heure, car on attend de moi une réactivité constante, puisque mes interlocuteurs feront preuve de cette même réactivité et ainsi de suite. Voilà la roue de la performance, de l’efficacité, de l’instantané, du « maintenant, tout de suite ». C’est-à-dire que les projets vont tellement vite et sont tellement intenses en culture qu’on ne prend pas le temps de se demander si ce système est pérenne ou même sain. On est trop dans une efficacité des choses. Je ne sais pas ce qui va changer la culture du milieu. Peut-être qu’il faudra qu’un grand nombre de travailleurs s’effondrent simultanément pour que tout le secteur soit handicapé et que là, vraiment, on provoque une remise en question du rythme de travail. D’ici là, il faut rester humain tant comme employé·e que comme porteur de projet. Nous devons de part et d’autre être à l’écoute, demeurer empathiques et nous assurer que les équipes mettent en place des bons systèmes pour éviter l’épuisement professionnel.

Après un BAC en Études théâtrales, Stéphanie Laurin cofonde les Productions Aequo. Au sein de cet OBNL, elle fait ses premières armes en production et diffusion de pièces de théâtre, d’expositions d’art visuel et de courts métrages. À partir de 2016, elle retrouve son champ de prédilection en joignant l’équipe du Théâtre PÀP, d’abord comme responsable des communications pour rapidement devenir adjointe à la direction et responsable du développement jusqu’à l’automne 2020. À travers son parcours professionnel, elle obtient une maîtrise en gestion des arts aux HEC dont la thèse porte sur l’épuisement professionnel chez les travailleurs culturels. Depuis juin 2019, Stéphanie est la codirectrice générale et la directrice administrative d’Empire Panique, la compagnie du créateur Philippe Boutin. À travers ses divers engagements, elle assure quelques mandats de charge de projets auprès de compagnies de créations théâtrales comme Sibyllines et Orange Noyée. En septembre 2020, Stéphanie Laurin entre en poste à titre de productrice exécutive chez Transistor Média, une boîte de production de baladodiffusion.