Comment savoir quand se constituer en OBNL?

Se constituer en OBNL ou ne pas se constituer : telle est la question qui survient bien souvent lorsqu’un·e artiste ou un groupe de créateur·trice·s cherche à bonifier la qualité et la portée de ses créations.

L’équipe a rencontré Paula Barsetti, directrice générale du Théâtre de la LNI et gestionnaire émérite, afin d’avoir son avis sur cette interrogation qui touche bon nombre d’artistes en développement.

Machinerie : Quels sont les facteurs à considérer et les questions à se poser avant de prendre la décision de se constituer en organisme à but non lucratif (OBNL)?

Paula : Il faut d’abord comprendre que la constitution est un engagement. Je pourrais comparer cet engagement à la différence entre habiter en colocation, et décider un jour d’acheter une maison avec des partenaires pour y vivre. En tant que locataire, on jouit d’une certaine liberté, il est possible de partir à tout moment ou de se faire remplacer par quelqu’un d’autre. Par contre, à partir du moment où on décide de passer à l’achat, on hérite de certaines responsabilités. Cela inclut, par exemple, la gestion d’un édifice et d’une hypothèque qu’on partage officiellement avec d’autres gens. Pour moi, la décision de se constituer doit répondre à la question : « Ai-je vraiment le désir de m’engager dans ce projet, considérant la charge requise pour sa mise en place? » Certain·e·s artistes voudront absolument garder leur indépendance, et d’autres, au contraire, auront un réel désir de s’investir dans un projet artistique plus engageant avec des collaborateur·trice·s. Il faut voir tout ça comme un·e entrepreneur·e qui démarre un commerce.

Machinerie : On parle d’ailleurs beaucoup de la notion d’artiste-entrepreneur·e dans le milieu culturel. Qu’est-ce que ça signifie?

Paula : Tout à fait. Historiquement, le milieu artistique était relativement réfractaire à ce parallèle, et on l’est encore. Cependant, au cours d’une formation à l’École des entrepreneurs du Québec, j’ai constaté qu’il n’y avait aucune différence entre les artistes et les entrepreneur·e·s. Que l’on travaille en culture ou dans un autre domaine, qu’on ait une entreprise à but lucratif ou à but non lucratif, un·e entrepreneur·e c’est une personne qui veut faire connaître ses idées, qui a ce besoin de gérer et de maîtriser son médium. Cela peut être un produit mercantile ou une création artistique. Ceci dit, il faut garder en tête que le principal enjeu de la gestion d’une compagnie ne consiste pas seulement à son enregistrement : ce n’est que le début!

Il faut aussi s’assurer que la structure d’un OBNL concorde pour ses besoins et ses activités, et savoir jusqu'où on est prêt à aller avec ce projet. Si on souhaite arriver à une pérennité au niveau du produit artistique, un OBNL permet de produire plus régulièrement et systématiquement.

Machinerie : Quelles sont donc, selon toi, les erreurs à éviter lorsqu’on prend la décision de se constituer en OBNL?

Paula : Je dirais que c’est justement d’avoir une méconnaissance de la charge de travail impliquée dans un tel engagement. Cette méconnaissance va dans les deux sens : certain·e·s artistes verront la gestion d’une compagnie comme quelque chose de lourd qu’ils·elles seront incapables de faire, et d’autres, voyant les nombreuses compagnies déjà existantes, se lanceront sans réfléchir. Cette surestimation ou sous-estimation des tâches provient souvent d’un manque de connaissances. Ces informations sont pourtant accessibles à l’aide de certains organismes qui existent pour accompagner les artistes. 

Il faut aussi s’assurer que la structure d’un OBNL concorde pour ses besoins et ses activités, et savoir jusqu’où on est prêt à aller avec ce projet. On peut, par exemple, avoir le souhait éventuel de passer d’une structure « à projet » à une compagnie soutenue au fonctionnement, ou bien décider d’avoir un collectif en garde partagée. Avec une structure moins fixe, on se réserve la possibilité de produire un projet quand on veut. Par contre, si on souhaite arriver à une pérennité au niveau du produit artistique, un OBNL permet de produire plus régulièrement et systématiquement.

Machinerie : la constitution en OBNL devient-elle un impératif pour le développement des activités d’un·e artiste ou d’un groupe de créateur·trice·s?

Paula : Oui, nécessairement. Il est possible d’avoir accès à certaines subventions pour des projets avec un collectif, mais davantage de financement est accordé aux OBNL. Les Conseils des arts ont besoin de savoir qu’il y a une personne morale et un conseil d’administration imputable au-dessus de ceux et celles qui créent. Ceci dit, la qualité artistique et la pertinence des collaborateur·trice·s de création demeurent les principaux éléments considérés. Dans un contexte de limitation budgétaire, l’évaluation de la gouvernance peut servir de filtre supplémentaire. Pour se constituer en compagnie, il est nécessaire d’avoir une fibre entrepreneuriale ou un entourage qui l’a. Il y a beaucoup d’artistes qui ne possèdent pas ce talent organisationnel, mais qui viennent s’entourer d’une équipe compétente, vont chercher des conseils dans leur réseau, ou une référence qui pourrait les outiller. Il n’est tristement pas rare de voir des artistes baisser les bras en voyant le travail administratif que leur projet de compagnie implique. Cependant, c’est légitime pour un artiste de ne pas vouloir se donner cette charge, et d’avoir une compagnie qui vive grâce à un·e allié·e pour faire ce genre de travail en complémentarité. Il y a aussi des modèles de gestion qui permettent à plusieurs OBNL de mutualiser leurs ressources administratives et matérielles afin que tout le monde en tire avantage.

Paula Barsetti œuvre depuis une quarantaine d’années dans le domaine théâtral, dans lequel elle est profondément impliquée. Elle a mis son savoir et sa passion au service de nombreuses entreprises, dont le Théâtre Sans Détour (de 1980 à 1996) où elle a agi comme comédienne, codirectrice artistique et directrice administrative, et dont elle est membre fondatrice. De 2002 à 2005, elle a assumé la direction administrative de la compagnie de théâtre Mime Omnibus. De 2005 à 2010, elle a été directrice générale associée et directrice des finances du centre multidisciplinaire et communautaire LE TAZ, où elle a étroitement participé à sa relocalisation et à son projet immobilier. La carrière de Paula Barsetti ne saurait se résumer à ces emplois, qui ne rendent compte que d’une facette de son parcours professionnel car elle n’a cessé de s’impliquer dans nombre de comités pour l’avancement de la discipline. En 2010, la compagnie de théâtre Les Deux Mondes avec notamment son partenariat avec le regroupement Aux Écuries, l’invite à joindre son équipe à titre de directrice administrative. En 2017 jusqu’à ce jour, Paula assume la direction générale du Théâtre de la Ligue Nationale d’Improvisation. Toujours passionnée par le théâtre et sensible à l’importance du rôle de la relève artistique, elle poursuit son engagement dans le milieu culturel en partageant son expérience auprès de jeunes créateurs.

 

crédit photo : Myriam Baril Tessier

Pourquoi développer une vision artistique?

La vision artistique est essentielle au développement sain d’une organisation culturelle. Comment devient-elle une source précieuse de motivation et d’inspiration au sein d’une équipe de travail?

L’équipe a rencontré Hanneke Ronken, stratège en innovation culturelle et sociale, afin de nous partager son expertise et ses réflexions sur le sujet.

Machinerie : Selon toi, à quoi sert le développement d’une vision artistique solide et cohérente? Cette vision se reflète-t-elle aussi dans la vision stratégique structurelle de compagnie?

Hanneke : Peu importe la taille d’une organisation, son identité et sa raison d’être sont basées sur la création de projets artistiques forts. Un artiste a comme mission d’avoir une vision du monde unique et, indirectement, de se tenir en marge de la logique capitaliste. Il y a une question profonde de sens au centre de sa posture professionnelle. Il est essentiel de creuser ce positionnement au-delà des projets artistiques. Il devient pertinent de se demander : pourquoi je fais ça? D’un point de vue existentiel, qu’est-ce que j’apporte à ma société au-delà d’une envie de créer ou d’une pulsion égocentrique? Comprendre le sens de notre vision artistique devient un vecteur extrêmement éclairant pour chaque partie prenante liée à l’organisme. Que ce soit pour le public, les gens avec qui tu travailles (artistes, employé·e·s, travailleur·euse·s autonomes, autres) ou les communications, être capable de circonscrire l’impact souhaité dans une vision inspirante est riche pour faire des choix stratégiques à long terme. Le fait d’avoir une vision, une mission et des valeurs bien définies impose un cadre qui va même jusqu’à guider les choix administratifs. Cela provoque une grande cohérence dans la façon de communiquer, d’opérer, de faire des choix pragmatiques. Cette vision doit également être claire et compréhensible pour les subventionneurs, et ultimement, pour le public qui voudra acheter des billets pour le spectacle.

Machinerie : On peut donc dire qu’une vision artistique réfléchie, une mission de compagnie articulée et des valeurs solides facilitent le travail administratif?

Hanneke : Exact. Je le constate à chaque fois que je commence des mandats de planification stratégique avec des organisations qui existent déjà depuis longtemps. La fluidité et la cohérence des actions, à toutes les échelles de décision, se réalisent plus facilement quand ces valeurs et énoncés sont clairs pour l’ensemble de l’équipe.

Le fait d’avoir une vision, une mission et des valeurs bien définies impose un cadre qui va même jusqu’à guider les choix administratifs. Cela provoque une grande cohérence dans la façon de communiquer, d’opérer, de faire des choix pragmatiques.

Machinerie : Quels outils préconises-tu pour mettre en place une forte vision artistique et organisationnelle? À quel point ces outils sont-ils nécessaires et réalistes dans la « vie » d’une organisation ? (FFOM, Étude de marché, Plan d’affaires, Plan stratégique, Plan d’affaires, etc.)

Hanneke : Pour moi, ces exercices ne servent absolument à rien s’ils sont faits en solo ou avec un·e consultant·e, sans aucune implication de l’équipe et du conseil d’administration. L’enrichissement a essentiellement lieu dans la cocréation et le codéveloppement. Partager les points de vue contradictoires entre les différents membres de l’équipe ajoute beaucoup de richesse aux discussions et permet de mieux identifier les angles morts d’une organisation. Cela permet de mieux comprendre l’évolution de l’organisation ainsi que de toutes ses parties prenantes, peu importe la hiérarchie de ceux-ci. Par la suite, un·e consultant·e peut venir faire parler les données et les chiffres pour en faire ressortir des conclusions factuelles importantes.

L’évolution d’un plan d’affaires, les différents diagnostics stratégiques, les forces et faiblesses d’une compagnie, la mesure des communications, les impacts des données objectives sont des exercices qui mériteraient qu’on s’y attarde en équipe afin de faire une radiographie de l’organisation ensemble, en date d’aujourd’hui. Observer celle du passée pour mieux réfléchir à celle du futur! Avant, la planification stratégique était surtout réfléchie avec la direction générale pour ensuite être un peu mise de côté. Aucun membre de l’équipe ne se sentait véritablement consulté et engagé dans le processus. C’était plutôt les postes en autorité qui imposaient une vision à ses subordonnés. Cette méthode de fonctionnement ne libère pas le plein potentiel d’une équipe. Pour moi, la clé d’une mise en action d’une vision et d’une mission de compagnie se réalise dans le codesign.

Hanneke Ronken est une stratège en innovation qui oeuvre dans le secteur culturel et social. Basée à Montréal, elle accompagne des organisations à tirer profit du futur émergent grâce aux approches créatives et analytiques de l’ère numérique.